Ibrahim* a passé six ans en Libye. Le jeune Guinéen de 21 ans a tenté une dizaine de fois de rejoindre les côtes européennes à bord d’une embarcation de fortune. Récupéré par les garde-côtes libyens, Ibrahim a fait plusieurs séjours en prison. Tombé malade l’an dernier, il a finalement décidé de rentrer au pays pour reconstruire sa vie, laissée en suspens pendant de trop longues années. En contact avec InfoMigrants depuis plus de quatre ans, le Guinéen a accepté de nous raconter son retour. Témoignage.
« Je suis rentré de Libye en fin d’année dernière, grâce au programme de retour volontaire de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Ils m’avaient dit que je bénéficierais d’un accompagnement pour ma réinsertion en Guinée, et d’une aide financière à hauteur de 1 500 euros.
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Le programme de retour volontaire de l’OIM est destiné à tous les migrants bloqués en Libye et qui souhaitent rentrer dans leur pays d’origine. L’Agence procède à des tests de santé et d’aptitude afin de vérifier que la personne est capable de voyager. Des entretiens sont aussi réalisés pour garantir que les migrants entament cette procédure de manière volontaire et qu’ils sont conscients des implications.
L’OIM collabore avec des ONG et des organismes gouvernementaux du pays de retour pour assurer un suivi des personnes rentrées volontairement. Un conseiller en réinsertion est nommé pour chaque rapatrié. L’organisation aide aussi financièrement et logistiquement les anciens migrants pour leur réinsertion dans leur pays d’origine.
Profiter de ses proches
J’ai été rapatrié par avion à Conakry avec d’autres Guinéens. On s’est enregistrés au siège de l’OIM et on y a passé notre première nuit. Les agents nous ont donné des téléphones et un peu d’argent pour notre quotidien. À ce moment-là, j’ai reçu 1 million 300 francs guinéens [environ 107 euros, ndlr].
À leur arrivée, les rapatriés reçoivent un peu d’argent de l’OIM, une somme qu’elle appelle argent de poche. Cet argent doit permettre aux anciens exilés de se reposer un peu avant de reprendre une activité, de se nourrir et de voir leurs proches.
Je me suis servi de cet argent pour m’acheter à manger, payer les transports pour aller voir mes parents qui n’habitent pas à Conakry, recharger la puce de mon téléphone, etc. Depuis mon retour au pays, je loge chez mon grand frère, qui vit dans la capitale.
Au départ, j’ai passé un peu de temps à me reposer et profiter de mes proches. J’étais tellement heureux de les revoir, je suis parti pendant six ans ! Ma famille était contente que je sois rentré. Moi, j’étais partagé entre la joie et la déception. J’étais déçu de ne pas avoir atteint les objectifs que je m’étais fixés, à savoir aller en Europe. Et puis, en rentrant on est un peu déboussolé, on ne connait plus la réalité en Guinée.
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Une semaine après mon retour, je me suis penché sur mon projet. Je veux ouvrir un commerce qui vend de l’électroménager. J’ai donc contacté un agent de l’OIM pour lui expliquer ce que je voulais faire. Comme convenu, j’ai trouvé des fournisseurs pour ma boutique.
Mais on m’a répondu que les financements liés au retour volontaire étaient suspendus jusqu’à la fin de l’année, et que je devais rappeler en janvier. J’ai donc attendu quelques semaines, et j’ai recontacté l’agence.
« Depuis mon retour, je ne fais rien de mes journées »
Une nouvelle fois, l’OIM m’a dit de patienter car ils n’ont pas les fonds nécessaires pour nos projets. Et depuis, on me dit toujours la même chose. J’appelle toutes les semaines et on me répond à chaque fois qu’ils n’ont pas l’argent.
Contactée par InfoMigrants, l’OIM en Guinée assure que les aides financières pour les migrants rentrés en fin d’année dernière devraient bientôt être opérationnelles. Le programme a pris du retard, mais les dossiers du convoi d’Ibrahim seront prioritaires, nous affirme-t-on.
Depuis mon retour, je ne fais rien de mes journées. Je reste sur le canapé, je vois des amis ou la famille.
Lorsque j’étais en Libye, l’OIM m’avait fait plein de belles promesses, mais ils ne tiennent pas parole. Ils m’avaient dit que je pourrais faire des formations dans l’entreprenariat en Guinée, mais il ne se passe rien. Ils ne m’appellent même pas pour prendre de mes nouvelles. Il n’y a aucun suivi.
En Libye, ils avaient du respect et de la considération pour moi. Mais ici, les agents de l’OIM me répondent mal, et me menacent de ne pas m’aider financièrement si je continue à me plaindre.
Je ne regrette pas d’être rentré, car beaucoup de ceux qui sont partis n’ont pas eu la chance de revoir leur famille. Mais je regrette la manière dont l’OIM nous traite, et les belles promesses non tenues. »
*Le prénom a été modifié.
Avec infomigrants