La police a utilisé des gaz lacrymogènes mardi pour disperser des dizaines de demandeurs d’asile et migrants d’Afrique subsaharienne qui campaient devant le siège du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) à Tunis. Ces derniers étaient à cran depuis la suspension par l’agence onusienne de l’examen de leurs dossiers en vue d’une relocalisation dans un pays tiers.
« Dieu, aidez-nous ! On a besoin d’aide ! », entend-ton sur une vidéo Twitter. La voix est paniquée. Elle a été enregistrée par un exilé filmant le démantèlement musclé d’un campement de migrants devant les locaux du Haut-commissariat des réfugiés des Nations unies (HCR) à Tunis, mardi 11 avril. L’assaut est violent.
« La police est arrivée à 9h », peut-on lire sur le compte Twitter de « Refugees in Tunisia » présent au moment du démantèlement du camp informel de 200 personnes. « Nous avons retenu notre souffle, mais quand ils ont continué à nous tirer dessus [avec des gaz lacrymogènes], la situation est devenue folle », peut-on encore lire sur le fil Twitter. « Nous avons fui vers un endroit sûr. La police nous a dit que le HCR […] nous avait abandonnés ».
Installés dans un camp improvisé de tentes depuis trois semaines, sans toilettes ni eau pour se laver, ces dizaines de ressortissants d’Afrique subsaharienne, cherchaient pour la plupart à être évacués vers des pays tiers. Ils étaient à cran depuis la suspension par le HCR de l’examen de leurs dossiers. Ils ont érigé des barricades devant le bâtiment onusien.
Des listes d’attente de plus de deux ans pour être évacué du pays
Famoussa Koita, un Malien détenteur du droit d’asile, a affirmé que certains de ces migrants se trouvaient en Tunisie « depuis plus de deux ou trois ans et n’ont toujours pas été appelés par le HCR » qui « a beaucoup de dossiers à traiter ». Sur sa page Facebook, le HCR en Tunisie a précisé le 3 avril avoir stoppé « toutes les activités d’enregistrement et de pré-enregistrement du 31 mars au 17 avril en raison d’une migration du système d’enregistrement et d’identité ». Une suspension « temporaire » qui concerne « toutes les opérations du HCR dans le monde ».
La situation était donc explosive. Des altercations ont même eu lieu avec quelques riverains, selon des journalistes de l’AFP sur place avant l’arrivée de la police. Ils « bloquent le passage », les gens ne « peuvent plus sortir de chez eux », a affirmé un habitant du quartier, Elyes Ben Zakour, selon lequel cette situation dure « depuis plus de 25 jours ».
80 migrants arrêtés
La police est intervenue dans la matinée à la demande du HCR, selon les migrants sur place. « Nous avons été attaqués par des agents de sécurité qui ont été appelés par le HCR pour disperser notre sit-in par la force. Nous avons été attaqués et battus à coups de bâton par la police, des femmes, des enfants et des hommes ont été arrêtés », peut-on lire sur Twitter. Une information corroborée par le ministère de l’Intérieur tunisien.
L’assaut a été particulièrement violent. « Les abords des locaux du HCR sont dévastés », a détaillé la correspondante de RFI à Tunis. Des pare-brises et des vitres de voitures ont été brisés. « J’ai essayé de filmer mais il y avait beaucoup de gaz lacrymo. Il y avait beaucoup de gens qui jetaient des pierres », explique un jeune Guinéen au micro de la journaliste.
Selon l’Intérieur tunisien, 80 migrants ont été interpellés, dont 30 placés en garde à vue.
« Nous dénonçons les incidents qui se sont produits »
Après la dispersion des migrants, un journaliste de l’AFP a pu voir des vitres du bâtiment du HCR et des caméras de surveillance cassées ainsi que des équipes de la municipalité en train de démanteler les tentes et de jeter les affaires des migrants.
Dans un communiqué publié mardi soir, le HCR s’est dit « profondément préoccupé par ces violents incidents » qui ont conduits des migrants « à forcer l’entrée de [leurs] locaux, causant des dommages matériels et menant à des tensions avec les forces de l’ordre tunisiennes […] Si nous comprenons les peurs et les frustrations des manifestants, que nous respectons leur droit à manifester pacifiquement, nous dénonçons aussi les incidents qui se sont produits dans nos locaux par un petit groupe de protestataires […] ».
Les migrants et demandeurs d’asile en Tunisie vivent dans un climat délétère depuis le discours ouvertement xénophobe du président Kaïs Saïed, le 21 février dernier, les accusant d’être source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables », et insistant sur « la nécessité de mettre rapidement fin » à cette immigration. À la suite de cette diatribe, des pays comme la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Mali avaient entamé le rapatriement de leurs ressortissants.
Dans une lettre ouverte, un groupe de demandeurs d’asile d’une quinzaine de pays subsahariens a expliqué qu’ils s’étaient « réfugiés » près du HCR après avoir « été chassés » de plusieurs villes de Tunisie – suite à cette tribune de Kaïs Saïed. Des associations d’aide aux migrants avaient fait état d’une recrudescence des agressions visant la population noire. Des centaines d’exilés avaient perdu du jour au lendemain leur travail – généralement informel – et leur logement.
Avec infomigrants