Une soixantaine d’ONG affirment que la Tunisie ne doit plus être considérée comme un lieu sûr de débarquement des migrants secourus en Méditerranée. Les militants mettent en avant la dérive autoritaire du président Kaïs Saïed mais aussi les violences observées ces derniers mois à l’encontre des Subsahariens. Pour eux, renvoyer des migrants en Tunisie représente « une violation des droits humains et du droit maritime international ».
« La Tunisie n’est pas un pays sûr ». Une soixantaine d’ONG et de collectifs – dont Alarm Phone, Open Arms ou encore Avocats sans frontières (AVS) – ont publié un communiqué, lundi 17 avril, dans lequel ils demandent aux autorités européennes « de retirer leurs accords » avec les autorités tunisiennes, en matière de lutte contre l’immigration clandestine.
Selon le document, plus de 37 millions d’euros ont été alloués par la Commission européenne à Tunis pour la gestion des flux migratoires. Ces fonds sont utilisés pour empêcher les migrants de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée.
Attaques des garde-côtes en mer
Pour ce faire, l’UE soutient « la formation de la police, la fourniture d’équipements pour la collecte et la gestion des données, le soutien technique, l’équipement et l’entretien des navires pour les patrouilles côtières ainsi que d’autres outils pour le suivi et la surveillance des mouvements », rappellent les militants.
Et l’Union veut aller encore plus loin. En novembre 2022, la Commission européenne a fait part de sa volonté de « renforcer les capacités de la Tunisie (…) pour prévenir les départs irréguliers (et) soutenir une gestion plus efficace des frontières et des migrations ». Des millions d’euros devraient à nouveau être débloqués par les États membres.
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En décembre dernier, une cinquantaine d’associations avaient pourtant dénoncé la violence des garde-côtes tunisiens lors de leurs interceptions en Méditerranée. La plateforme d’aide aux migrants en mer Alarm Phone avait recueilli plusieurs témoignages d’exilés racontant avoir été frappés avec des bâtons, avoir été témoins de coups de feu tirés en l’air ou en direction du moteur de l’embarcation, ou encore de manœuvres dangereuses mettant en danger les personnes.
Selon les ONG, « ces attaques se sont accélérées au cours des derniers mois, ciblant à la fois les personnes migrantes, qu’elles soient tunisiennes ou étrangères ».
« Quand vous sortez, on vous cogne avec des cailloux »
Aux agressions en mer se sont ajoutées celles sur la terre ferme. Depuis le 21 février et le discours virulent du président tunisien Kaïs Saïed à l’encontre des migrants subsahariens, les personnes noires subissent une vague de violences dans le pays. Le chef de l’État a estimé, fin février, lors d’un discours, que la présence des « hordes de migrants clandestins » dans le pays était source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ».
Après cette diatribe, des centaines de migrants ont perdu du jour au lendemain leur travail – généralement informel – et leur logement. D’autres sont restés des jours enfermés chez eux de peur d’être agressés. Des images et vidéos choquantes ont aussi montré des Subsahariens violentés en pleine rue. Un climat délétère qui n’a pas épargné les Tunisiens à la peau noire.
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« On ne sort pas, même pour aller chercher à manger. Quand vous sortez, on vous cogne avec des cailloux. On nous dit : ‘Quittez le pays ! La Tunisie, c’est pour les Tunisiens !' », a expliqué à RFI une Guinéenne qui a choisi de profiter des rapatriements organisés par Conakry.
« Ils ont cassé ma maison. Ma femme, mes enfants et moi, on a dormi dans la rue pendant trois jours », a aussi confié au micro de la radio internationale un autre Guinéen, qui a vécu 10 ans en Tunisie.
Dérive autoritaire
Les migrants ne sont pas les seules cibles du pouvoir tunisien. Les opposants sont également visés par le régime, qui a opéré un virage répressif ces derniers mois.
Lundi 17 avril, l’un de ses principaux opposants, Rached Ghannouchi, le chef du mouvement islamo-conservateur Ennahdha, a été arrêté par la police. Deux mois plus tôt, la police tunisienne avait procédé à une vague d‘arrestations de personnalités proches de l’opposition.
Les inquiétudes grandissent chez les observateurs internationaux sur une dérive autoritaire du président Kaïs Saïed. Le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme a exprimé en février sa « préoccupation face à l’aggravation de la répression contre des opposants politiques ».
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Pour toutes ces raisons, les ONG estiment que « la sûreté de la Tunisie en tant que pays tiers semble très compromise ». « Tout ceci rend les personnes migrantes noires et les voix critiques vulnérables (…) En conséquence, il est impossible de débarquer en Tunisie les personnes sauvées en mer qui tentent de fuir le pays ».
En effet, comme le stipulent la Convention sur la recherche et le sauvetage et l’Organisation maritime internationale, les personnes secourues en mer doivent être déposées dans un « lieu sûr », à savoir un « lieu où la sécurité n’est plus menacée ». Ainsi, pour les militants, ramener des migrants en Tunisie « constitue une violation des droits humains et du droit maritime international ».
Au premier trimestre 2023, plus de 14 000 personnes ont été secourues ou interceptées au large des côtes tunisiennes, soit soit cinq fois plus qu’à la même période en 2022.
Avec infomigrants