Depuis deux mois, des témoignages rapportent que les garde-côtes tunisiens dérobent les moteurs des canots de migrants en route vers l’Europe, les laissant dériver en pleine mer. Les exilés accusent aussi les forces tunisiennes d’opérer des manœuvres dangereuses près des embarcations, provoquant des naufrages.
La situation à l’encontre des exilés se dégradent chaque jour un peu plus en Tunisie, sur terre comme sur mer. Et de nouvelles pratiques voient le jour en Méditerranée. Depuis plusieurs semaines, les garde-côtes tunisiens sont accusés de voler quasi systématiquement les moteurs des canots de migrants qui tentent de rejoindre l’Europe sur des embarcations de fortune.
Cette méthode d’interception, particulièrement dangereuse, est souvent utilisée par les garde-côtes libyens au large de leurs côtes pour stopper la route des migrants. Quelques témoignages font aussi état de cette pratique près de la Grèce, en mer Égée. Des récits similaires émergent désormais au large de la Tunisie.
« Les garde-côtes prennent les bidons d’essence »
« Quand les garde-côtes arrivent, ils prennent les bidons d’essence et demandent au capitaine de retirer le moteur. Ensuite, ils partent en laissant l’embarcation dériver », explique à InfoMigrants Kalilou*, un Ivoirien de 28 ans qui a tenté à plusieurs reprises de traverser la Méditerranée. « On se retrouve en mer sans rien, cela fait très peur. On doit attendre le retour des autorités. Parfois des pêcheurs nous récupèrent », précise le jeune homme.
Généralement, selon Kalilou, les forces tunisiennes reviennent dans la zone quelques heures plus tard pour finalement ramener les migrants dans un port du pays.
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La plateforme d’aide aux migrants en mer, Alarm Phone, relaie également le même genre d’histoire. « Un groupe de personnes a tenté de fuir la Tunisie mais a été attaqué par la Garde nationale tunisienne, qui a volé le moteur », a tweeté le collectif indépendant le 23 avril. Dans un communiqué du 17 avril, Alarm Phone alertait déjà : « Il a été récemment documenté que les garde-côtes tunisiens volent les moteurs des bateaux tentant de fuir le pays, laissant les personnes à la dérive ».
D’après Kalilou, ces pratiques sont devenues légion. Elles sont apparues peu de temps après le 21 février, date du discours raciste du président Kaïs Saïed à l’encontre des migrants. Ce jour-là, le dirigeant avait affirmé que la présence de « hordes » d’immigrés clandestins venant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes ».
Plus de 70 morts en un mois
Par ailleurs, les vols de moteurs ne sont pas l’unique nouveauté. Les manœuvres dangereuses sont de plus en plus fréquentes au large des côtes tunisiennes. Alarm Phone accuse les garde-côtes d’être responsables de plusieurs naufrages.
Kalilou est lui aussi catégorique. L’Ivoirien raconte que les garde-côtes tournent autour des embarcations de migrants pour provoquer des vagues. « Quand ils agitent l’eau, les gens paniquent et le bateau se retourne. Ils peuvent porter secours à certaines personnes mais ils ne peuvent pas sortir tout le monde », explique Kalilou. Ce dernier assure avoir « perdu plusieurs amis après ce genre d’actions des garde-côtes ».
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Le mois d’avril a été particulièrement meurtrier au large de la Tunisie. Plus de 70 personnes ont péri près des côtes après une série de naufrages. Lundi 24 avril, 31 corps de migrants subsahariens « en décomposition, rejetés par la mer » ont été retrouvés sur le rivage tunisien.
Par ailleurs, les interceptions ont fortement augmenté depuis le début de l’année. Au premier trimestre, les garde-côtes tunisiens ont « déjoué 501 opérations de franchissement clandestin des frontières maritimes et sauvé 14 406 personnes, dont 13 138 originaires d’Afrique subsaharienne », selon le porte-parole de la garde nationale.
La semaine dernière, plusieurs organisations – dont Alarm Phone, Open Arms ou encore Avocats sans frontières – ont demandé à l’Union européenne « de retirer les accords » avec les autorités tunisiennes, en matière de lutte contre l’immigration clandestine. Selon les militants, la Tunisie ne doit plus être considérée comme un lieu de débarquement pour les exilés secourus en Méditerranée. Pour eux, renvoyer des migrants en Tunisie représente « une violation des droits humains et du droit maritime international ».
*Le prénom a été modifié.
Avec Infomigrants