Dans un rapport parlementaire, deux députés défendent la stratégie gouvernementale de mieux répartir les demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire français. Pourtant, sur le terrain, les obstacles s’accumulent et les centres d’accueil en région parisienne peinent à désaturer.
C’est un rapport qui raisonne tristement avec l’actualité de ces dernières semaines. Alors que l’extrême droite a récemment poussé à la démission le maire de Saint-Brévin-les-Pins (Bretagne) à cause d’un projet d’installation de Centre d’accueil et de demandeur d’asile (CADA) sur sa commune, deux députés publient un rapport parlementaire sur la stratégie de répartition des demandeurs d’asile en région.
Dans ce document exhaustif auquel InfoMigrants a eu accès, Mathieu Lefèvre (Val-de-Marne) et Stella Dupont (Maine-et-Loire), deux députés du parti d’Emmanuel Macron (Renaissance), jugent « favorable » l’accueil des primo-demandeurs d’asile sur l’ensemble du territoire français. Initié en janvier 2021, ce plan vise à faire tomber de 46% à 23% le nombre de demandeurs d’asile en Île-de-France d’ici fin 2023.
En effet, avec près d’une demande d’asile enregistrée sur deux, le dispositif d’hébergement d’urgence en Île-de-France est saturé. La préfecture tente donc d’orienter les demandeurs d’asile en région, via des « orientations directives ». De 1 000 « mouvements » par mois entre janvier et mars 2021 (comprendre : déplacement de demandeurs d’asile), le gouvernement espère atteindre 2 500 « mouvements » par mois à l’été 2023.
En deux ans, 48 230 demandeurs d’asile se sont vus proposer une « orientation directive » par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), et 36 106 l’ont acceptée, soit 75 % d’entre eux.
Informer la population et lutter contre les fantasmes
Pour accueillir cette population, certaines communes se sont vues imposer la construction de CADA ou de centres d’accueil (comme des CAES) qui ont parfois créé des inquiétudes dans la population locale. Saint-Brévin-les-Pins (Bretagne), Beyssenac (Corrèze), Bélâbre (Indre-et-Loire), les exemples ne manquent pas. Et l’extrême droite n’est jamais loin pour instrumentaliser ces inquiétudes.
« Ce n’est pas toujours évident [de faire accepter les migrants] dans des petites communes, mais on propose de mieux associer les élus locaux à l’action de l’État, et de répondre aux inquiétudes locales », estime le député Mathieu Lefèvre.
À Beyssenac, lorsque des collectifs d’habitants ont manifesté contre l’ouverture d’un CADA début 2023, le préfet de Corrèze a organisé une réunion d’information pour répondre aux fantasmes et apaiser les peurs.
« Il y a beaucoup de craintes, le climat actuel est à la stigmatisation, mais dans l’immense majorité des cas, l’implantation de ces structures ne pose aucune difficulté au niveau local », relève Laurent Delbos, juriste à l’association Forum Association Réfugiés.
Les deux députés prennent l’exemple de Peyrelevade où un CADA a permis de donner une seconde vie à un Ehpad désaffecté, de créer une salle des fêtes, et de sauver une classe dans l’école municipale grâce à la scolarisation d’enfants de migrants.
Près d’un tiers des migrants refusent l’orientation directive
Les députés soulèvent néanmoins quelques inquiétudes. À commencer par les 25 % de demandeurs d’asile qui ont refusé de partir en région en 2022, beaucoup plus que l’année précédente (18%).
Sur les 48 000 à qui le transfert a été proposé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), 12 000 ont refusé, principalement des Turcs (64%), des Bangladais (61%) et des Sri-Lankais (52%). Mais cette population ne se retrouve pas forcément à la rue. « Ils sont accueillis par leur communauté, voire des réseaux, en Île-de-France », explique le rapport.
Si ce refus ne relève pas du caprice, il entraîne toutefois le retrait de l’allocation de demandeur d’asile (6,80 euros/jour). Une précarité qui inquiète Laurent Delbos : « On trouve ça tout à fait légitime que l’État puisse orienter cette population en contrepartie de l’asile, mais prenez un demandeur d’asile souffrant d’un psycho traumatisme à qui l’on dit d’aller en région : si on ne prend pas en compte cet aspect, on va de façon bête et méchante priver cette personne de son allocation ».
De son côté, le député Mathieu Lefèvre assume cette logique de « droit et devoir ». « La menace de perdre ses conditions matérielles d’accueil peut permettre de contraindre à accepter l’orientation directive ».
Un système qui favorise les demandeurs d’asile parisiens
Dans leur rapport, les députés se félicitent que la politique du gouvernement ait permis « de réduire, mais pas de supprimer, le nombre de campements insalubres recensés en Île-de-France ». Selon la préfecture, la part de demandeurs d’asile dans ces campements est passée de 49% en 2019 à 31% en 2022.
Mais l’État peine encore à atteindre son objectif principal de diviser par deux le nombre de primo-demandes d’asile en Ile-de-France. En cause, la nature même du dispositif : les demandes émanant de Paris sont prioritaires. « En déposant leur dossier en Ile-de-France, les demandeurs d’asile ont toujours plus de chance d’obtenir un toit en région ».
Faut-il alors créer plus de places dans les structures d’accueil actuelles (120 000 en 2022) ? Oui, mais pas seulement. Là encore, les députés ont découvert lors de leur enquête que les CADA peinent à accueillir de nouvelles personnes pour deux raisons : les demandeurs d’asile ayant obtenu le statut de réfugié ne quittent pas forcément leur place en centre, les déboutés du droit d’asile ne sont pas forcément « éloignés » du territoire. Ils occupent donc des places censées être attribuées à d’autres.
Pour le juriste Laurent Delbos, l’un des enjeux de ces prochains mois va être d' »améliorer la fluidité du dispositif » pour faire rentrer plus rapidement les migrants éligibles à « l’orientation directive », et sortir plus vite ceux en situation de présence indue.
Le gouvernement n’a pas tardé à réagir puisqu’il a entamé depuis quelques semaines la création de 10 sas régionaux de 50 places maximum censés améliorer l’orientation des migrants en fonction de leur situation administrative.
De quoi résoudre l’équation pour l’Île-de-France ? Avec toujours plus de premières demandes d’asile enregistrées l’année dernière, la partie semble loin d’être gagnée.
Avec infomigrants