Ils sont Sud-Soudanais, Érythréens, Éthiopiens. Avant que le conflit n’éclate à Khartoum, de nombreux ressortissants des pays limitrophes avaient trouvé refuge au Soudan et obtenu une protection internationale. Ils se retrouvent piégés par les affrontements et contraints de fuir, une fois de plus, dans des conditions très précaires.
A la veille des premiers combats, le 15 avril dernier, plus de 300 000 réfugiés des pays voisins du Soudan vivaient à Khartoum. Après avoir quitté leur propre pays pour se mettre en sécurité dans la capitale soudanaise, ces réfugiés se retrouvent aujourd’hui contraints de fuir à nouveau.
Certains tentent de rejoindre d’autres régions, plus stables, quand d’autres font le choix de rentrer dans leur pays. « Ils sont coincés : l’endroit d’où ils viennent n’est pas sûr et Khartoum ne l’est plus « , observe Davina Jeffery, cheffe de la mission Soudan de l’ONG Danish Refugee Council, contactée par InfoMigrants.
En tout, ce sont plus d’1,1 million de réfugiés et demandeurs d’asile qui vivaient au Soudan avant le conflit. Parmi eux, 75% étaient originaires du Soudan du Sud. Les autres étaient principalement Éthiopiens, Érythréens, Tchadiens, Centrafricains, Syriens, Yéménites ou Somaliens. Un peu plus de 50% d’entre eux sont des femmes et 48% ont moins de 18 ans.
« C’est une population qui était déjà très vulnérable, et qui est aujourd’hui particulièrement en danger », pointe Karl Schembri, coordinateur régional du Norwegian Refugee Council (NRC), joint par InfoMigrants. Les acteurs humanitaires appellent à une mobilisation de la communauté internationale, tant diplomatique que financière, afin de venir en aide à ces réfugiés ainsi qu’aux plus d’un million de déplacés soudanais.
« Rejoindre des zones moins affectées par le conflit »
Le 22 mai dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU ne constatait » aucun signe de ralentissement du conflit « . Les deux généraux au pouvoir, Abdel Fattah al-Burhane et Mohamed Hamdane Daglo, s’affrontent dans la capitale et dans d’autres parties du pays, aux dépens de la population civile. Les violences se poursuivent depuis plus d’un mois maintenant, en dépit d’une série de cessez-le-feu signés par les deux parties.
« De nombreux réfugiés sont déjà parvenus à quitter Khartoum pour rejoindre des zones moins affectées par le conflit comme l’État du Nil blanc ou les camps de réfugiés situés à l’est, à Kassala et Gedaref », observe Faith Kasina, porte-parole du Haut-commissariat pour les réfugiés des Nations-Unis (HCR), interrogée par InfoMigrants. Khartoum et l’État du Nil blanc, situé au sud de la capitale, accueillent les deux tiers des réfugiés du pays.
Les réseaux de bus encore en service permettent à ceux qui fuient la capitale de rejoindre l’est du pays, à des tarifs exceptionnellement élevés. « Ces personnes rejoignent les camps de réfugiés existants, où nos équipes sont toujours présentes », explique la représentante du HCR. Dans son dernier rapport de situation, l’agence notait qu’un « petit nombre d’Éthiopiens et d’Érythréens toujours à Khartoum pourrait vouloir profiter du nouveau cessez-le-feu pour partir vers l’Est ».
Par ailleurs, des membres de l’ONG Norwegian Refugee Council (NRC) ont témoigné de l’arrivée dans la ville de Wad Madani, à l’est du pays, de réfugiés syriens et éthiopiens qui avaient fait le chemin à pied. Le HCR opère actuellement des transferts depuis les camps de Wad Madani vers ceux situés plus à l’est, en raison des nombreuses arrivées ces derniers jours.
Situation dramatique au Darfour
En raison des combats, le HCR et les ONG présentes ont été contraints d’interrompre temporairement la plupart de leurs activités à Khartoum, au Darfour et au Nord-Kordofan.
La situation dans certains camps de réfugiés est alarmante. Au Darfour occidental, les camps situés à Geineina, peuplés de déplacés soudanais mais aussi de Tchadiens, de Centrafricains et du Sud-Soudanais, ont été la cible d’attaques. Certaines infrastructures sont détruites et l’aide humanitaire est à l’arrêt.
« La tragédie, c’est que plus d’un mois s’est passé et que nous ne sommes toujours pas capables d’acheminer l’aide humanitaire » déplore Karl Schembri. En effet, l’insécurité sur les routes mais aussi la fermeture des banques et les blocages administratifs empêchent les ONG de porter assistance aux populations locales.
Les réfugiés sud-soudanais rentrent chez eux
D’après le HCR, au moins 20 000 réfugiés sud-soudanais sont aussi rentrés dans leur pays. « On s’attend à ce que d’autres partent dans les prochains jours » note le responsable du NRC.
De même, des réfugiés originaires du Tigray, en Éthiopie, ont commencé à quitter les camps de l’est du Soudan pour rentrer chez eux.
D’autres exilés tentent de rallier Port-Soudan, pour ensuite passer vers l’Égypte. D’après les chiffres publiés par le HCR, plus de 5 500 personnes réfugiées au Soudan ont rejoint l’Égypte et plus de 4 500 ont fui vers l’Éthiopie.
D’inquiétantes disparitions d’Érythréens
Par ailleurs, le quotidien britannique The Guardian et le média qatari Al Jazeera ont relayé plusieurs témoignages faisant état de la disparition de réfugiés érythréens en chemin pour Kassala, près de la frontière avec l’Erythrée. De même, Yonas, jeune réfugié érythréen au Royaume-Uni, a confié à InfoMigrants ne plus avoir de nouvelles de ses deux frères réfugiés au Soudan, après leur fuite de Khartoum.
Des militants des droits de l’Homme accusent le gouvernement érythréen de rapatrier de force ses ressortissants fuyant les combats au Soudan.
« Nous ne sommes pas en mesure de confirmer ces informations, mais nous prenons ces témoignages très au sérieux », déclare la porte-parole du HCR à ce sujet, « nous avons fait part de nos inquiétudes à l’agence soudanaise pour les réfugiés et aux services d’immigration. »
Selon les chiffres des Nations Unies, 136 000 Érythréens avaient trouvé refuge au Soudan avant le début des violences. Le 21 mai 2023, des réfugiés érythréens et éthiopiens ont publié une lettre ouverte adressée à l’ONU, demandant leur réinstallation dans un pays tiers sûr.
Certains Érythréens, interviewés par la BBC, ont fui au Soudan du Sud. Mais ils s’y retrouvent piégés : impossible de rentrer dans leur pays, une des pires dictatures du monde, mais aussi impossible d’embarquer dans un avion ni d’être admis dans un camp de réfugiés du pays.