Deux exilés sont morts en mer, vendredi 9 juin, au large de la ville espagnole d’Andra. D’après les autorités, ils ont été forcés à se jeter à l’eau par leurs passeurs, avant que leur embarcation n’atteigne la plage. Ce jour-là, 137 migrants en provenance du Maroc ont débarqué sur cette partie de la côte.
« Nouvelle tragédie » sur la côte d’Almeria, a déploré le sous-délégué du gouvernement, José María Martín. Deux migrants sont morts noyés, vendredi 9 juin, au large de la ville andalouse d’Andra. D’après la presse espagnole, ces deux jeunes hommes ont été forcés par leurs passeurs à se jeter à l’eau, peu avant l’arrivée de leur embarcation sur la plage.
Un troisième passager, également contraint de passer par-dessus bord, a été admis le jour du naufrage à l’hôpital d’El Ejido, en état d’hypothermie sévère. Il est depuis complètement rétabli et a quitté l’établissement, ont confirmé les autorités à Europa Press.
Les deux exilés décédés avaient pris place dans une embarcation de 65 personnes, dont trois mineurs, tous marocains. La troisième personne faisait partie quant à elle des 72 passagers, marocains également, d’un second bateau. Les deux navires partis des côtes marocaines ont approché en même temps le littoral d’Adra, vendredi matin, vers 7h. Tous ses occupants ont été forcés de gagner la plage à la nage et d’abandonner leur bateau, raconte El Diaro de Almeria.
Sous la surveillance de la Garde civile, les rescapés ont alors attendu sur le sable, aux côtés des corps sans vie de leurs deux compagnons de voyage décédés, cachés sous des draps blancs. À 11h, ils ont été transférés au Centre temporaire d’assistance aux étrangers du port d’Almería (CATE), où ils ont été soignés par le personnel de la Croix-Rouge.
Les conducteurs des bateaux, soupçonnés d’être des trafiquants d’êtres humains, ont réussi à s’enfuir au large. « Par conséquent, aucune arrestation n’a été effectuée », affirme le journal local. Le 9 octobre dans l’après-midi, les recherches menées par les sauveteurs espagnols pour retrouver d’éventuels rescapés ou personnes décédées se sont poursuivies.
« Nous condamnons les mafias et les personnes qui se consacrent à cette activité criminelle de traite des êtres humains », a déclaré José María Martín, ajoutant que les forces et corps de sécurité de l’État « continueront à travailler » avec « tous les moyens entre leurs mains pour éviter de futures catastrophes comme celle-ci ». Le porte-parole du gouvernement d’Andalousie Ramón Fernández-Pacheco espère pour sa part que « ce drame se termine le plus tôt possible », saluant « le travail conjoint des ONG et des forces de sécurité de l’État ».
En octobre 2022, deux migrants sont morts dans des conditions similaires, au large de Cabo de Gata, à l’est d’Almeria. Les conducteurs de leur embarcation leur avaient ordonné de se jeter à l’eau, et les avaient frappés devant leur réticence. Une vingtaine d’exilés au total occupaient ce navire, dont des familles avec enfants. L’un d’eux avait été blessé et avait dû être transporté d’urgence à l’hôpital. Cette fois-ci, les passeurs avaient été arrêtés par les autorités espagnoles.
Les garde-côtes « débordés »
La semaine dernière, d’après les autorités locales, la côte d’Adra a connu une « vague » de bateaux de migrants, ce qui a amené le commandement d’Almería à demander des renforts à la municipalité de Grenade. Interrogé par l’agence de presse EFE, le porte-parole de l’Association unifiée des gardes civils (AUGC) à Almería, Víctor Vega, a confirmé que les garde-côtes de la province étaient « débordés » et que l’assistance fournie par voie maritime était par conséquence « limitée ».
Arrivé à saturation, le CATE d’Almeria, d’une capacité de 125 places, a par ailleurs dû transférer des migrants en bus vers les Centres de rétention pour étrangers (CIE) d’Algésiras et de Barcelone, ainsi que dans des établissements à Malaga et Motril.
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« Ces dernières années, non seulement rien n’a été fait, mais la situation s’aggrave », a souligné Victor Vega, qui déplore l’absence de CIE à Almeria, « point de la péninsule le plus touché par l’immigration ».
Une route active entre 2015 et 2019
La route qui mène des côtes marocaines à l’est de l’Andalousie est communément appelée « route d’Alboran », du nom de cette île espagnole située à équidistances des deux littoraux. Depuis une zone qui couvre Al Hoceïma et Nador au Maroc, les migrants prennent la mer à bord de petits bateaux à moteur, voire de jet-skis, direction l’Espagne. D’après l’association Caminando Fronteras, « cet itinéraire, utilisé à la fois par les citoyens marocains et subsahariens, a été le plus actif entre 2015 et 2019 ». En 2017 par exemple, la répression des mobilisations dans la région du Rif, au nord du Maroc, avait poussé de nombreuses personnes à l’exil.
En 2019, la militarisation de cette route associée à la précarité des services de secours dans la zone « ont obligé les communautés subsahariennes à explorer d’autres routes plus dangereuses », comme celles des îles Canaries.
Parmi les victimes de la route d’Alboran figurent Omar, 21 ans, et Yassine, 24 ans. Ces deux jeunes hommes originaires d’Oujda sont partis le 8 mai 2022 d’une plage de Saïdia, ville marocaine à la frontière algérienne. « Le dernier signe de vie que l’on a, c’est une photo d’eux avec un jet-ski […] prêts à partir », avait raconté leur cousine Sarah* à InfoMigrants. Les deux frères vivaient tantôt chez leur grand-mère, tantôt dans un petit studio qu’ils louaient dans le centre-ville de Saïdia, lorsque Yassine prenait un poste de saisonnier dans les champs qui entourent la commune. Omar, lui, vendait des fruits sur le marché.
« Ils n’étaient pas très riches, mais ils n’étaient pas pauvres non plus. Leur père et leur mère, maçon et femme de ménage, ont toujours subvenu à leurs besoins, assure leur cousine. Mais depuis toujours, ils voient des gens revenir d’Europe avec des voitures neuves. Ils s’imaginent que de l’autre côté de la mer, c’est l’Eldorado ». Peu à peu, l’idée de rejoindre l’Espagne a germé dans la tête des deux Marocains, attisée par les départs d’amis proches. « Je pense que ce qui les a convaincus de partir, c’est de voir des vidéos de jeunes sur TikTok et Instagram qui filment leur traversée en musique, et célèbrent leur arrivée en Andalousie. À l’écran, ça a l’air très facile ».
D’après Caminando Fronteras, en 2022, dix personnes sont mortes en tentant cette traversée, et 65 sont toujours portées disparues.