Depuis l’attaque d’Annecy jeudi 8 juin, les voix de responsables d’extrême droite, et parfois de droite, s’élèvent pour mettre en cause la politique migratoire de la France. Les uns parlant d’une France « submergée par les demandes d’asile », les autres des « défaillances » de l’État sur le suivi de l’assaillant, réfugié syrien en Suède. Le raccourci est fait entre immigration et attaque, mais quand est-il à la lumière des faits ? InfoMigrants fait le point.
Jeudi 8 juin, un homme a agressé au couteau quatre enfants, âgés de 22 mois à trois ans, et deux adultes sur une aire de jeu d’un parc d’Annecy, dans le sud-est de la France. L’auteur de l’attaque, Abdelmasih H., est un réfugié syrien ayant obtenu la protection en Suède en 2013.
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Quelques heures après les faits, et les jours suivant, plusieurs responsables de droite et d’extrême droite ont remis en cause la gestion migratoire de la France. InfoMigrants revient sur quelques contre-vérités.
« Immigration massive »
Ce qu’ils disent : « Le droit d’asile a été la grandeur de la France pendant des décennies (…) mais ce n’est pas le droit inconditionnel d’accueillir tout le monde », a déclaré Jordan Bardella, président du Rassemblement national (RN) lundi 12 juin sur CNews.
Sur BFMTV, Marion Maréchal Le Pen, vice-présidente de « Reconquête », a estimé la veille que la France faisait face à une « politique migratoire complètement incontrôlée et folle ».
Marine Le Pen, présidente des députés RN, a déploré sur Europe 1 vendredi 9 juin un pays « submergé » par les demandes d’asile.
À droite aussi, on s’inquiète d’un « chaos migratoire qui bouleverse l’Europe et frappe la France », selon les mots du patron des Républicains (LR) Éric Ciotti le même jour sur France 2. Le chef des députés LR à l’Assemblée nationale, Olivier Marleix, a quant à lui évoqué une « immigration massive incontrôlée » sur Twitter, quelques heures après l’attaque.
De quoi parlent-ils ? Le droit d’asile est internationalement reconnu par la Convention de Genève de 1951, et inscrit dans la Constitution française. Il permet de protéger toute personne victime de persécution dans son pays.
Ce qu’il en est : En 2022, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) a traité 134 454 dossiers de demande d’asile. Parmi eux, l’agence a attribué l’asile à 38 789 personnes, soit un taux d’accord de 28,8%.
La Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a de son côté pris 14 456 décisions positives sur un total de 67 142 dossiers, soit un taux d’accord de 21,5%.
Le nombre de demandes introduites à l’Ofpra est bien en hausse par rapport à l’an dernier mais ce chiffre est à nuancer. L’année 2021 était encore marquée par les restrictions liées au Covid-19. Les dossiers déposés en 2022 retrouvent en réalité un niveau proche de celui de 2019, dernière année avant la crise sanitaire.
Le premier pays d’origine des demandeurs d’asile en France en 2022 était l’Afghanistan (avec 17 000 demandes), suivi du Bangladesh (avec 8 600 demandes).
À titre de comparaison, l’Allemagne, qui reste l’un des pays européens accueillant le plus grand nombre de demandeurs d’asile, a reçu l’année dernière 245 000 demandes – soit près du double de la France. Le taux d’acceptation s’est élevé en 2022 à 56%. Les Syriens représentent la première nationalité des demandeurs d’asile en Allemagne (avec 70 000 demandes).
« Défaillances »
Ce qu’ils disent : ces derniers jours, nombre de responsables politiques, d’extrême droite ou de droite, ont pointé des « défaillances » de l’État dans le contexte du drame d’Annecy. C’est le cas de Marion Maréchal Le Pen, de sa tante Marine Le Pen ou encore de François-Xavier Bellamy, vice-président de LR.
Selon Marion Maréchal Le Pen, « l’Ofpra aurait dû consulter le fichier européen des demandes d’asile et constater immédiatement qu’il n’avait pas droit à la demande d’asile en France ». Il n’aurait pas non plus « dû se trouver sur le territoire français si l’Ofpra, et donc l’État indirectement, avait fait son travail ».
De quoi parlent-ils ? Marion Maréchal Le Pen semble évoquer le fichier Eurodac, une base de données de l’UE qui stocke les empreintes digitales des demandeurs d’asile ou des migrants ayant franchi illégalement une frontière.
Ce qu’il en est : l’assaillant d’Annecy, Abdelmasih H., avait obtenu le statut de réfugié en Suède en 2013. Il n’est donc pas concerné par le fichier Eurodac. Il pouvait par ailleurs déposer sa demande d’asile en France, sous certaines conditions.
Il n’est pas interdit de déposer une demande d’asile en France si la personne a été reconnue réfugiée dans un autre État membre de l’UE. Un ressortissant étranger devra refaire sa demande en suivant la procédure classique : passage par une Spada (Structure de premier accueil des demandeurs d’asile), retrait d’un dossier de demande d’asile à la préfecture, entretien à l’Ofpra.
Il y a cependant de fortes chances que, selon son pays d’accueil, sa demande soit déclarée irrecevable. C’est le cas de l’auteur de l’attaque d’Annecy.
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Quatre jours avant les faits, l’homme avait vu sa demande d’asile jugée irrecevable par l’Ofpra. Il avait néanmoins le droit d’être en France, en attendant de faire appel auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Si l’appel n’est pas suspensif, un étranger n’a pas forcément l’obligation de quitter le territoire français dans l’attente du traitement de son dossier.
Règlement Dublin
Ce qu’ils disent : « Les pays au sein l’UE sont tenus par les accords de Dublin, qu’ils ont signés [pour renvoyer des étrangers] (…) Avec les accords de Dublin, la personne aurait dû automatiquement être renvoyée en Suède », affirme encore Marion Maréchal Le Pen sur BFMTV dimanche 11 juin.
De quoi parle-t-elle ? Les accords de Dublin établissent qu’un demandeur d’asile ne peut faire sa demande d’asile que dans un seul État membre de l’UE. L’État responsable d’une demande d’asile est le premier pays européen par lequel un migrant est entré (l’Italie, l’Espagne ou la Grèce, la plupart du temps).
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S’il dépose une demande d’asile en France alors qu’il a été enregistré en Espagne par exemple, il pourra être renvoyé vers ce pays, au titre du règlement Dublin.
Ce qu’il en est : Les accords de Dublin concernent uniquement les demandeurs d’asile, et non les réfugiés.
Une personne ayant obtenu la protection dans un pays européen ne sera pas considérée comme « dublinée » dans un autre État.
Contrairement à ce que dit Marion Maréchal Le Pen, l’agresseur d’Annecy n’aurait donc pas pu être « automatiquement » renvoyé en Suède, pays où il a obtenu l’asile.
Déposer l’asile en dehors du territoire français
Ce qu’ils disent : Jordan Bardella a de nouveau défendu lundi 12 juin sur CNews le principe de demandes d’asile déposées dans les ambassades et consulats des pays de départ y compris en Syrie, où une représentation nationale aurait selon lui également « un intérêt » pour les « services de renseignement ».
De quoi parle-t-il ? Le droit d’asile est internationalement reconnu par la Convention de Genève de 1951, et inscrit dans la Constitution française. Il permet de protéger toute personne victime de persécution. Depuis l’étranger, il est possible de solliciter un visa au titre de l’asile auprès des autorités françaises du lieu de résidence, ambassades comme consulats. Mais ce visa spécifique permet seulement de rejoindre la France. Une fois sur le territoire français, le demandeur « doit se présenter à la préfecture de son lieu de résidence pour retirer un formulaire de demande d’asile », précise l’Ofpra, en charge de délivrer le statut de réfugié.
Il n’est donc pas possible, actuellement, de déposer directement une demande d’asile en dehors du pays où l’on souhaite trouver refuge. La personne doit forcément atteindre le territoire français par ses propres moyens.
Ce qu’il en est : demander l’asile en dehors des frontières du pays d’accueil est contraire au droit international. D’après le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), le pays d’accueil a l’obligation de fournir aux demandeurs d’asile sur son territoire « l’accès à des procédures d’asile équitables et efficaces, à des soins de santé, à l’emploi, à l’éducation et à l’assurance sociale ainsi que le droit de libre circulation ».
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La Convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugié, interdit en outre aux États de renvoyer des personnes présentes sur leur territoire ou à leur frontière vers un pays où elles risqueraient d’être persécutées. En d’autres termes, refouler une personne qui demande l’asile est illégal. C’est ce à quoi aboutirait justement la proposition de Jordan Bardella, assénée depuis des années par l’extrême droite.
Car dans le cas où cette proposition deviendrait une loi, les autorités pourraient demander aux personnes qui se présentent spontanément à la frontière pour demander l’asile de repartir dans leur pays pour faire une demande sur place.
Si la proposition est inapplicable aux yeux de la loi, elle l’est tout autant au regard de la réalité vécue au quotidien par les candidats à l’exil. Car tous n’ont pas la possibilité de déposer une demande de visa au titre de l’asile dans leur pays ou dans un pays voisin, pour diverses raisons : « Pas de possibilité matérielle ou financière, peur d’être identifiés comme souhaitant venir en France en tant que réfugiés, insécurité, incertitude sur le pays auprès duquel ils souhaitent demander l’asile », rappelle Amnesty International. Sans compter que ces types de visas ne sont que très peu accordés par Paris.