Depuis 2019, la Tunisie aide ses ressortissants expulsés des pays européens – ou rentrés volontairement – à se réintégrer via le programme Tounesna. Encore peu connu, il permet, entre autres, aux Tunisiens de reprendre leur vie en main professionnellement après l’échec de la route migratoire.
C’est un programme encore « peu connu », de l’aveu même de Sophie Kapusciak, directrice de la représentation de l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) en Tunisie. Née en 2019, Tounesna ( « Notre Tunisie », en arabe) est un programme qui permet aux ressortissants tunisiens, confrontés à l’échec de leur projet migratoire en Europe, de reprendre leur vie à leur retour dans le pays.
« Tous les Tunisiens peuvent y prétendre : ceux qui rentrent volontairement au pays après l’échec de leur intégration en France par exemple, comme ceux visés par une OQTF
, ou ceux qui ont été expulsés de force », développe Sophie Kapusciak. Promu et porté par l’Office des Tunisiens à l’étranger (OTE), ce programme soutenu par l’Union européenne (UE) – et par l’Ofii en France entre autres – a un double objectif : convaincre les ressortissants tunisiens qu’un avenir est possible dans le pays. Et lutter contre l’immigration irrégulière.
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Une double ambition d’autant plus difficile à atteindre que le pays traverse actuellement une grave crise économique. De nombreux Tunisiens décident, au même titre que les Africains subsahariens, de traverser la Méditerranée pour l’Europe.
« Faire le deuil d’une vie en Europe qu’ils n’auront pas »
En Tunisie, le taux de chômage atteint les 15% et le taux d’inflation 10%. Plus de 16 000 Tunisiens sont arrivés en Italie en 2022, un record par rapport aux quatre années précédentes (11 000 en 2020) malgré le plan de renforcement des moyens de surveillance au large des côtes tunisiennes.
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Pas simple, donc, pour Tunis de séduire de potentiels candidats au retour. « Sans compter qu’il très dur pour les Tunisiens qui rentrent bredouille au pays de se confronter à leur famille, de faire le deuil d’une vie en Europe qu’ils n’auront pas », précise Sophie Kapusciak.
Mais l’OTE veut y croire. En s’appuyant sur les institutions du pays (l’Agence nationale pour l’emploi, la Direction générale de la promotion sociale) relevant du ministère des affaires sociales – et grâce au financement de l’UE – via le le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique – Tunis veut concrètement aider les déçus de l’exil à trouver un logement, un emploi, une formation, une école pour les enfants… « Ce dispositif étatique est unique dans la région : c’est le seul à ma connaissance qui se dote de ses propres services publics pour réinsérer ses ressortissants », continue Sophie Kapusciak.
Pour l’heure, le succès de Tounesna n’est pas encore au rendez-vous. Sur l’ensemble de l’année 2022, seuls 79 Tunisiens en ont bénéficié. « C’est peu, c’est vrai mais il faut que le dispositif soit davantage connu, nous y travaillons ».
Depuis le début 2023, 35 dossiers déjà validés
Beaucoup de projets présentés et validés par Tounesna concernent l’élevage, ou encore la restauration. Mais pas que. « Je me rappelle qu’une des premières personnes qui a été acceptée dans le programme Tounesna travaille aujourd’hui dans un grand groupe d’assurance », développe Sophie Kapusciak.
Tounesna s’inscrit dans un vaste programme européen « Progrès migration Tunisie ». Quatre pays, la France, l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse ont accepté de faire partie du projet, précise Fabrice Blanchard, directeur adjoint de l’OFII, en France, joint par InfoMigrants.
Pour Paris, donc, Tounesna est une main tendue inédite qui permet d’offrir un filet de sécurité à des Tunisiens réticents à repartir. « Concrètement un migrant tunisien qui se présente à l’Ofii en France pour un retour volontaire sera mis en relation avec l’Office des Tunisiens à l’étranger (OTE) et le programme Tounesna. Il sera accompagné ».
Neuf bureaux de l’OTE sont répartis sur l’ensemble du territoire tunisien. Il est possible de s’y présenter spontanément et de déposer un dossier pour bénéficier de Tounesna. « Après étude du dossier, l’OTE décidera si oui ou non, le candidat est éligible ».
Depuis le début de l’année 2023, ce sont 100 dossiers qui sont actuellement étudiés, 35 ont déjà été validés. « Et d’autres devraient l’être dans les prochaines semaines », insiste Sophie Kapusciak. « Certains ont repris leur vie, ont mis en route un enfant », conclut-elle. « Ce qui veut dire que leur réinsertion est réussie. Ils ne sont plus tournés vers le passé et leur échec, ils pensent à l’avenir ».
Avec infomigrants