Selon une enquête du media britannique Sky News, des bandes criminelles exploiteraient le système britannique de « visas pour travailleurs qualifiés » en faisant entrer des personnes clandestinement dans le pays. Elles demandaient aux travailleurs de faire passer des inconnus pour des membres de leur famille.
Une enquête menée par la chaîne Sky News fin mai révèle que des bandes criminelles ont profité de la pénurie de travailleurs qualifiés au Royaume-Uni en organisant la venue de « fausses familles ». Dans le cadre des « visas pour travailleurs qualifiés » instauré outre-Manche, les personnes ayant une offre d’emploi dans le pays sont effectivement autorisées à faire venir des personnes à charge – généralement leur famille.
Ces réseaux criminels se font passer pour des cabinets de recrutement en promettant un visa et un emploi au Royaume-Uni en échange de sommes d’argent exorbitantes. Certains étrangers étaient ensuite mis en relation avec des inconnus et devaient prétendre qu’il s’agissait de membres de leur famille.
« Quelqu’un qui venait pour un emploi et qui avait un visa de travail […] était transformé en une sorte de passeur de clandestins en amenant avec lui de fausses familles », résume Lisa Holland, journaliste à Sky News.
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Dans le reportage sorti le 24 mai, une femme sri-lankaise, Mme A., affirme avoir payé 65 000 livres sterling (près de 75 000 euros) à des prétendus recruteurs afin d’obtenir un visa pour travailler comme aide-soignante au Royaume-Uni.
Des recruteurs peu scrupuleux exploitent le visa de travailleur qualifié pour organiser de faux regroupements familiaux. Crédit : capture d’écran Sky News
Des recruteurs peu scrupuleux exploitent le visa de travailleur qualifié pour organiser de faux regroupements familiaux. Crédit : capture d’écran Sky News
Avant de prendre l’avion, les recruteurs lui ont remis un garçon de 12 ans qu’elle n’avait jamais vu auparavant. Mme A. a alors reçu l’ordre de voyager avec lui et de prétendre qu’il s’agissait de son enfant, en se servant d’un faux passeport sri-lankais. À son arrivée à l’aéroport londonien de Heathrow, le garçon a été accueilli par des personnes que Mme A. ne connaissait pas. Elle dit ne jamais l’avoir revu.
« Cela s’est fait dans la hâte. J’ai eu très peur, mais je n’ai rien pu faire. Je n’ai pas compris grand-chose. Ce n’est qu’après mon arrivée au Royaume-Uni que j’ai réalisé que c’était une grosse erreur », concède Mme A.
Les entreprises qui ont parrainé Mme A. assurent n’avoir aucun lien avec les recruteurs du Sri Lanka.
Retrouver les « fausses familles »
Dans une autre affaire, une femme raconte s’être rendue à Londres avec un visa de travail et avoir emmené avec elle trois personnes : un faux mari et deux faux enfants. Sky news a retrouvé la prétendue famille et ainsi rencontré Ratha, le « faux mari », un riziculteur sri-lankais de 48 ans vivant à Staffordshire, dans le centre de l’Angleterre.
Le prétendu fils de Ratha, Hinthujan, vit à Liverpool avec ses parents. Sa famille s’était arrangée pour le faire venir au Royaume-Uni, mais dit ne pas avoir su que leur fils allait faire semblant d’être à la charge d’un étranger.
Ratha et Hinthujan demandent tous deux l’asile au Royaume-Uni.
Ratha, un agriculteur du Sri Lanka, s’est rendu au Royaume-Uni avec une fausse famille. Crédit : capture d’écran Sky News
Ratha, un agriculteur du Sri Lanka, s’est rendu au Royaume-Uni avec une fausse famille. Crédit : capture d’écran Sky News
Au Sri-Lanka, une crise économique aigüe a déclenché un exode massif vers l’Inde voisine, mais aussi vers le Canada, l’Australie, le Royaume-Uni et certains pays de l’Union européenne.
Selon The Economist, environ 300 000 des 22 millions d’habitants du Sri Lanka sont partis travailler à l’étranger en 2022, la plupart d’entre eux étant des travailleurs peu qualifiés. De janvier à mars de cette année, 73 000 autres personnes ont quitté le pays à la recherche d’opportunités à l’étranger.
Manque de main d’œuvre
Le Royaume-Uni mise sur l’immigration de travailleurs qualifiés pour faire face à une importante pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, provoquée par le Brexit et le vieillissement de la population active.
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Les données du gouvernement britannique indiquent que près de 1,2 millions de postes étaient vacants fin 2022 au Royaume-Uni. Les secteur de la santé et du travail social comptaient le plus grand nombre de postes vacants, soit 208 000 postes.
Les aides-soignants et les aides à domicile sont également très recherchés.
La crise économique de 2022 au Sri Lanka a provoqué un exode massif. Crédit : InfoMigrants
La crise économique de 2022 au Sri Lanka a provoqué un exode massif. Crédit : InfoMigrants
Mme A. a fourni aux autorités de faux diplômes d’infirmière et un curriculum vitae détaillé, indiquant qu’elle avait notamment travaillé dans une maison de soins. Un autre document affirme qu’elle a obtenu de très bonnes notes en anglais dans une université au Sri Lanka. Mme A. ne parle pourtant pas un mot de la langue de son pays d’accueil.
Bouche à oreille et messages WhatsApp
L’enquête de Sky news montre aussi que les recruteurs ont recours au bouche à oreille, et se font recommander par des personnes de confiance. Les victimes sont ensuite submergés de documents administratifs en anglais qu’elles ne comprennent pas.
« Tout se passe sur WhatsApp. Nous avons vu des dizaines de messages dans lesquels un certificat de parrainage était délivré » via cette messagerie, explique la journaliste Lisa Holland.
Le ministère britannique de l’Intérieur assure enquêter « activement » sur le dossier. « L’abus de notre système d’immigration ne sera pas toléré. Toute personne ayant utilisé de faux documents, fait de fausses déclarations sur sa situation personnelle ou pratiqué une autre forme de tromperie verra sa demande [de visa] rejetée. »
Avec infomigrants