Depuis presque quinze jours, une cinquantaine de jeunes marocains sont portés disparus. Ils avaient embarqué sur un canot en direction des Canaries depuis la région d’Agadir. Selon deux parents de disparus, tous ces exilés avaient « entre 15 et 37 ans ». Cet événement intervient alors que des ONG dénoncent l’inertie des autorités marocaines et espagnoles dans un autre naufrage, survenu mercredi.
Une cinquantaine de migrants marocains sont portés disparus depuis près de douze jours au large du sud du Maroc, a-t-on appris jeudi 22 juin. Tous seraient partis dimanche 11 juin, « à 4 heures du matin » de la région d’Agadir, témoigne Abdelrezzak Arki, le père d’une de ces victimes auprès d’InfoMigrants.
Il y aurait à bord principalement des jeunes hommes, ainsi que « trois ou quatre filles », tous « entre 15 et 37 ans », indique-t-il.
« À ce jour, nous n’avons plus aucune nouvelle de ce qui a pu leur arriver », s’inquiète un autre parent, Amine Aharrouy, auprès de l’AFP. « Nous espérons que les autorités marocaines pourront élucider leur sort ».
L’Association marocaine des droits humains (AMDH) a exhorté les autorités à « enquêter et intervenir immédiatement pour révéler le sort de ces jeunes (migrants) » dans un communiqué paru jeudi.
« Deux mille euros » pour monter sur l’embarcation
Les disparus sont originaires de la province d’El Attaouia, près de Marrakech, a précisé Amine Aharrouy. Le dernier contact avec eux a été établi le dimanche à l’aube, jour du départ ; après quoi les parents n’ont reçu aucun signal.
Six jours ont passé, raconte Abdelrezzak Arki interrogé par InfoMigrants, avant que les parents n’informent les autorités d’El Atawiya de la disparition de leurs enfants. Ces dernières leur ont « conseillé de porter plainte et d’informer les autorités maritimes d’Agadir ».
« La situation économique et sociale » les a poussés à partir, estime encore Abdelrezzak Arki, en déplorant le manque d’opportunité de travail au Maroc, ainsi que l’augmentation des prix et du chômage.
« Les conditions économiques dont souffrent les jeunes au Maroc les poussent à migrer vers l’Europe via des bateaux de la mort », abonde Khadija Ainani, vice-présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), jointe par InfoMigrants.
Deux décès avérés et d’autres disparus lors d’un naufrage mercredi
Toutes ces craintes interviennent alors qu’un important naufrage a eu lieu mercredi 21 juin sur la route des Canaries, avec de multiples disparitions.
Les sauveteurs espagnols, intervenus à la demande du Maroc, ont repêché ce jour-là deux corps, dont celui d’un enfant, à 160 kilomètres environ de l’île de Grande Canarie. Côté marocain, une patrouille a retrouvé 24 survivants.
Mais ce naufrage aurait en fait coûté la vie à au moins 39 personnes, rapporte l’ONG Caminando Fronteras – parmi lesquelles quatre femmes et un bébé. En effet, selon Alarm Phone et Caminando Fronteras, qui croisent les données de géocalisation via les appels de détresse et des témoignages d’exilés, près de soixante migrants étaient à bord de ce canot.
Il s’agirait principalement de ressortissants du Sénégal et de Gambie, aux côtés de quelques Ivoiriens et Guinéens, a indiqué l’activiste Helena Maleno Garzón de Caminando Fronteras auprès de Libération.
Dans un tweet publié le 11 juin, l’activiste avait précisé que « 58 personnes, dont 21 femmes et un bébé, étaient sur le point de mourir en raison du naufrage du bateau pneumatique à bord duquel elles se dirigeaient vers Las Palmas » (capitale de Grande Canarie). Selon elle, le naufrage est intervenu dans l’océan Atlantique, au sud-ouest de Laâyoune, ville du Sahara occidental.
« L’intensification de la surveillance dans le nord pousse de nombreux migrants à traverser l’océan, moins surveillé, mais plus dangereux », analyse Khadija Annabi de l’AMDH.
Les ONG accusent les États d' »inertie » dans la recherche des disparus
L’embarcation en question « implorait un sauvetage dans les eaux sous responsabilité espagnole depuis plus de douze heures », dénonce Helena Maleno Garzón. Alarm Phone et Caminando Fronteras accusent donc les autorités marocaines et espagnoles d’avoir agi trop tard.
Le quotidien espagnol El País confirme que plus de dix heures se sont écoulées entre le repérage du bateau par un avion, mardi 20 juin dans la soirée, et le début des opérations mercredi matin.
« L’Espagne a dit que c’était au Maroc d’y aller, bien que le bateau ne se trouvait pas dans une zone de sauvetage marocaine. Les Marocains ont dit qu’ils y allaient (…) mais finalement ils ont fait attendre les migrants », a détaillé Helena Maleno Garzón, accusant les deux États de « jouer avec la vie des gens ».
De manière générale, « le manque d’action immédiate pour rechercher les disparus envoie un message clair : nous ne ferons pas un grand effort de sauvetage, même si le prix à payer est la vie de ces personnes », commente Khadija Annabi.
Une route moins empruntée mais toujours aussi dangereuse
Ces derniers jours, les départs d’embarcations de migrants vers les Canaries se sont multipliés en raison de bonnes conditions climatiques, souvent depuis les côtes du Sahara occidental.
Pour autant, cette année, les arrivées de migrants par la mer ont baissé : les débarquements dans les Canaries ont diminué de moitié – entre le 1er janvier et le 31 mai, 4 406 personnes sont arrivées dans l’archipel contre 8 268 en 2022 à la même période.
Malgré cette baisse des chiffres, cette route migratoire est toujours considérée comme l’une des plus dangereuses pour les candidats à l’exil qui tentent de rejoindre l’Union européenne.
Cette semaine encore, mardi 20 juin, le corps d’une femme enceinte a été retrouvé au large de l’archipel des Canaries, à bord d’un canot qui transportait une cinquantaine de ressortissants d’Afrique subsaharienne, ont indiqué les garde-côtes espagnols. Leur embarcation avait été repérée par des pêcheurs, à l’est de l’île de Lanzarote. Les survivants ont été pris en charge à Arrecife, principale ville de Lanzarote.
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D’après l’Organisation internationale des Nations unies pour les migrations (OIM), depuis 2021, 1 500 personnes ont perdu la vie dans cette zone de l’océan Atlantique. L’association Caminando Fronteras, elle, a comptabilisé 1 784 décès pour la seule année 2022.