Selon un rapport publié lundi, 50% des canots de migrants repérés en mer Méditerranée par l’agence européenne de surveillance des frontières sont renvoyés en Libye. À plusieurs reprises, Frontex a directement contacté les garde-côtes libyens pour que les embarcations n’atteignent pas l’Europe et retournent dans ce pays du nord du Maghreb, où les violations des droits des exilés sont légion.
L’agence européenne de surveillance des frontières est de nouveau pointée du doigt. Selon le média en ligne Euractiv, un nouveau rapport, produit par le Forum consultatif de Frontex
et publié lundi 26 juin, épingle une nouvelle fois les pratiques controversées de l’agence en Méditerranée.
Le document affirme que Frontex a contacté « directement » les forces libyennes à plusieurs reprises après avoir repéré un canot de migrants en route vers l’Europe. Une embarcation sur deux aperçue par Frontex a ainsi été interceptée par les garde-côtes libyens et renvoyée dans le pays.
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Lorsqu’un canot en détresse est détecté en Méditerranée centrale, le centre de coordination maritime des sauvetages (MRCC) le plus proche doit être prévenu. Dans cette zone, les autorités compétentes sont Malte, l’Italie et la Libye. Or, selon le rapport, Frontex a informé en priorité Tripoli, sans contacter Rome et la Valette, même si les canots se trouvaient dans leur espace maritime. L’agence est ainsi accusée de participer activement aux interceptions des Libyens en mer.
Un accord qui légitime ces pratiques
Pour l’Union européenne (UE), cette pratique n’a rien d’illégal. En effet, un accord signé en 2017 entre l’UE et la Libye étend la zone de recherche et de sauvetage (SAR zone) libyenne. Il permet à Tripoli d’opérer dans un espace plus large pour arrêter les canots de migrants à destination des côtes européennes.
Mais pour plusieurs instances internationales et des ONG, renvoyer des exilés vers un port non sûr est contraire au droit maritime. Le Forum consultatif de Frontex est d’ailleurs du même avis. « Les retours vers la Libye peuvent constituer des violations du principe de non-refoulement », qui stipule que « nul ne doit être renvoyé dans un pays où il risque d’être soumis à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à d’autres sévices irréparables ».
« Il est raisonnablement prévisible que les survivants interceptés ou sauvés subiront de graves violations de leurs droits fondamentaux après leur débarquement en Libye, notamment le meurtre, la réduction en esclavage, la détention arbitraire, la torture et les mauvais traitements, la traite d’êtres humains, l’extorsion, les disparitions forcées et les violences sexuelles », insiste le document.
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Pour le Forum, l’attitude de l’agence va à l’encontre des « obligations découlant de la Charte des droits fondamentaux de l’UE, à laquelle Frontex est liée ».
L’UE « complice » des atrocités subies par les migrants en Libye
Le comportement des Libyens a été maintes fois documenté par des ONG ces dernières années. Le dernier rapport remonte à décembre. Human Rights Watch (HRW) et Border Forensics s’insurgeaient déjà du comportement de l’agence européenne. « En alertant les autorités libyennes sur des embarcations transportant des migrants, sachant qu’ils seront renvoyés vers des traitements atroces, et malgré d’autres options, Frontex se rend complice de ces abus », avait à l’époque déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à HRW.
Ce n’est pas la première enquête du genre menée par Human Rights Watch et Border Forensics. En août 2022, les deux ONG avaient peu ou prou révélé les mêmes dérives de la part de l’agence européenne.
De son côté, le Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR), une ONG allemande, a déposé, fin novembre, une plainte pour crimes contre l’humanité devant la Cour pénale internationale (CPI) visant plusieurs responsables européens. L’ECCHR estime que la politique européenne de soutien aux garde-côtes libyens a rendu ces personnalités indirectement responsables des violences et exactions subies par les migrants dans le pays.
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Malgré les nombreuses critiques, l’UE poursuit inlassablement la même politique en Méditerranée centrale. En mars dernier, le Conseil européen a renouvelé pour deux ans son soutien financier et matériel aux autorités libyennes. Le 22 juin, deux nouveaux patrouilleurs ont été livrés à la Libye lors d’une cérémonie qui s’est déroulée dans la ville de Messine, en Sicile, en présence de fonctionnaires de la Commission européenne, des autorités italiennes et des garde-côtes libyens.
Depuis le début de l’année, 7 895 exilés ont été interceptés en mer et renvoyés en Libye, selon les chiffres de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Parmi eux, 357 femmes et 180 enfants. Dans le même temps, 1 724 migrants ont péri en Méditerranée centrale, un record depuis 2017. Sur l’ensemble de l’année 2022, l’ONU a comptabilisé 1 417 morts.