Dans un communiqué, des experts des Nations unies appellent le gouvernement tunisien à stopper les refoulements illégaux d’exilés subsahariens perpétrés jusqu’aux frontières libyenne et algérienne. « Les expulsions collectives sont interdites par le droit international », confirment-ils.
Plus d’une semaine après les révélations faisant état d’abandons de migrants dans le désert par la police tunisienne, l’ONU fait entendre sa voix. « Nous appelons les autorités à cesser immédiatement toute nouvelle expulsion et à poursuivre et élargir l’accès humanitaire à une zone dangereuse à la frontière tuniso-libyenne où de nombreuses personnes, y compris des femmes enceintes et des enfants, ont déjà été expulsées », indique un communiqué publié mardi 18 juillet.
Signé par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, le Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine et trois rapporteurs spéciaux, dont celui sur les droits de l’Homme des migrants, Felipe Gonzalez Morales, le document rappelle que « les expulsions collectives sont interdites par le droit international ». Ainsi, le principe de non-refoulement, inscrit dans le droit international des droits de l’Homme, « s’applique à toutes les formes d’expulsion, indépendamment de la nationalité ou du statut migratoire ».
Après la mort, le 3 juillet dernier, d’un Tunisien à Sfax à la suite d’affrontements avec des migrants, une vague de violences a gagné cette ville du centre de la Tunisie : des centaines d’exilés subsahariens ont été chassés de la commune, principale point de départ des embarcations pour l’Italie. Ils ont alors été conduits par les autorités aux frontières libyenne, à l’est, et algérienne, à l’ouest. Abandonnées sans eau ni nourriture, ces personnes, dont des femmes et des enfants, ont tenté de survivre dans des zones désertiques, sous une chaleur dépassant les 40 degrés.
« De l’eau pour ne pas mourir »
Ces derniers jours, environ 360 d’entre eux ont été évacués par les autorités libyennes près d’Al Assah. Selon l’ONG arabe AOHR en Libye, nombre de ces exilés ont besoin « de secours médicaux et humanitaires urgents ». Les journalistes de l’AFP ont pu photographier et filmer plusieurs groupes de jeunes hommes et quelques femmes, visiblement épuisés et assoiffés, assis ou couchés sur le sable, tentant de s’abriter sous des arbustes décharnés. La semaine dernière, le Croissant-Rouge tunisien avait déjà mis à l’abri plus de 600 exilés, lâchés après le 3 juillet près du poste-frontière libyen de Ras Jdir, à 50 km d’Al Assah.
InfoMigrants était entré en contact avec un autre groupe de migrants originaires du Nigéria, et de Sierra Leone, coincés dans la zone frontalière de Ras Jdir. L’un d’entre eux, Kelvin, a été arrêté chez lui, le 11 juillet, à Sfax avant d’être abandonné à la frontière libyenne. Épuisé, réclamant de « l’eau pour ne pas mourir », le Nigérian et son groupe avaient trouvé refuge sous un arbre pour se protéger du soleil. Il expliquait que ni les Libyens, ni les Tunisiens – pourtant à quelques mètres d’eux – ne leur apportaient des vivres.
Dans un rapport publié mercredi 19 juillet, Human Rights Watch (HRW) confirme les « abus » conduits par les autorités tunisiennes, dont « des expulsions collectives », et « des évictions forcées ». L’ONG a notamment récolté les témoignages de sept personnes faisant partie d’un groupe de « 1 200 Africains noirs expulsés et transférés de force par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières avec la Libye et l’Algérie début juillet ».
« Discours de haine raciste »
Outre l’arrêt immédiat de ces expulsions illégales, les experts de l’ONU exhortent également le gouvernement tunisien à prendre des mesures immédiates « pour mettre fin aux discours de haine raciste dans le pays ». « Nous sommes très préoccupés par les informations faisant état de discours de haine raciste dans le pays, et de violences à l’encontre de migrants à Sfax, y compris de la part d’agents des forces de l’ordre ». « Les discours de haine raciale qui constituent une incitation à la discrimination ont des conséquences réelles, y compris la violence », ont-ils rappelé dans leur communiqué.
Depuis des années, les Subsahariens se plaignent du racisme en Tunisie. Mais leur situation s’est encore détériorée ces derniers mois à la suite du virulent discours du président Kaïs Saïed, prononcé le 21 février dernier : le chef de l’État y affirme que la présence de « hordes » d’immigrés clandestins venant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes ». Des propos qu’il a réitéré lundi 26 juin, parlant de migrants qui « terrorisent » les citoyens.
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Ce discours xénophobe affiché publiquement par le président n’a nullement endommagé les relations qu’entretient la Tunisie avec l’Europe, bien au contraire. Dimanche 16 juillet, Tunis et Bruxelles ont signé un « partenariat stratégique » sur l’immigration, en présence notamment de la Première ministre post fasciste Giorgia Meloni. Centré sur la lutte contre l’immigration irrégulière, l’accord doit également servir à soutenir le pays qui connaît de graves difficultés économiques à travers « cinq piliers » : « la stabilité macro-économique, le commerce et les investissements, la transition énergétique verte, le rapprochement entre les peuples, la migration et la mobilité », a précisé la Commission européenne.
Pour l’ONG Amnesty International, cet accord rend l’UE « complice des violations des droits infligées à des demandeurs d’asile, migrants et réfugiés ». « Mal avisé, signé en dépit des preuves de plus en plus nombreuses de graves atteintes aux droits humains commises par les autorités », ce pacte « montre que l’UE accepte le comportement de plus en plus répressif du président et du gouvernement tunisiens », déplore la directrice du bureau d’Amnesty International auprès des institutions européennes, Eve Geddie, dans un communiqué. « Cette décision indique qu’aucune leçon n’a été tirée des accords similaires précédents », ajoute-t-elle.
Pour Kaïs Saïed – qui par ailleurs concentre un pouvoir quasi-total depuis la suspension de l’ancien Parlement du pays en juillet 2021 – les Tunisiens ont « donné à ces immigrés tout ce qui pouvait être offert avec une générosité illimitée », a-t-il défendu le jour de la signature de l’accord. À ce jour, InfoMigrants reste sans nouvelle de Kelvin et de ses compagnons d’infortune, après plus d’une semaine dans le désert.
Infomigrants