De nouvelles vidéos datant du 22 juillet montrent des migrants d’Afrique subsaharienne s’effondrer face à des officiers libyens, venus les secourir dans le désert à la frontière entre la Tunisie et la Libye. Depuis plusieurs semaines maintenant, les autorités tunisiennes organisent des abandons collectifs de Noirs dans le désert sans eau ni nourriture. Déjà plusieurs personnes sont mortes, dont au moins une enfant.
Ce sont des vidéos que l’on peine à croire. Samedi 22 juillet, des migrants, tous originaires d’Afrique subsaharienne, ont été filmés par les garde-frontières libyens, marchant dans le désert, au milieu de nulle part. Un groupe de trois personnes s’approche des Libyens, une femme s’effondre aux pieds d’un soldat, la bouche ouverte et supplie d’avoir un peu d’eau. À ses côtés, un homme s’allonge aussi. Il lui manque une chaussure, on devine que son pied est blessé, il ne tient plus débout. Le garde-frontière libyen s’approche, leur donne de l’eau et les rassure. « Ne vous inquiétez pas, il y a beaucoup d’eau, asseyez-vous ».
Il fait actuellement plus de 45 degrés dans la zone frontalière entre la Libye et la Tunisie. Sans eau, les chances de survie de ces trois personnes étaient minimes.
Comme des centaines avant eux, ces migrants ont été abandonnés dans le désert après avoir été arrêtés par les autorités tunisiennes. Beaucoup viennent des villes du sud de la Tunisie, Ben Guardane ou Sfax, et ont été raflés dans la rue, chez eux, sur leur lieu de travail, en raison de leur couleur de peau. Conduits dans le Sahara, vers Al Assah pour certains, à la frontière libyenne, mais aussi dans la région de Tozeur, à l’ouest de la Tunisie, à la frontière algérienne, ils ont été abandonnés là sans eau, ni nourriture.
Des pratiques inhumaines, contraires au droit international, documentées ces derniers jours par les médias. La semaine dernière, les journalistes de l’AFP et d’Al-Jazeera avaient filmé des centaines de migrants à bout de force allongés sous le soleil de plomb du désert dans la région d’Al Assah. Pris en charge par les Libyens, ils ont été 360 à être mis à l’abri.
Au cours de ces reportages, les journalistes ont aussi pu constater la présence de corps, probablement morts de soif. Une terrible photo d’une mère et de son enfant, une petite fille, allongées l’une contre l’autre sans vie en plein désert, a été partagée sur les réseaux sociaux. Une autre image montre un père exténué, effondré sur une couverture. Il est sans nouvelles de sa femme et son fils, qui se sont perdus dans le désert. Des garde-frontières libyens sont partis à leur recherche. En vain.
La rédaction aussi était entrée en contact avec des migrants, dans la zone frontalière de Ras Jdir, entre le 11 et le 15 juillet. L’un d’eux, Kelvin, racontait avoir été arrêté chez lui, le 11 juillet, à Sfax, avant d’être abandonné à la frontière libyenne. Épuisé, réclamant de « l’eau pour ne pas mourir », le Nigérian et son groupe avaient trouvé refuge sous un arbre pour se protéger du soleil. Il expliquait que ni les Libyens, ni les Tunisiens – pourtant à quelques mètres d’eux – ne leur apportaient des vivres. La rédaction n’a plus de nouvelles d’eux.
Vague de violences depuis le 3 juillet
Difficile d’évaluer le nombre total de personnes abandonnées dans le désert, côté libyen ou côté algérien depuis le mois de juillet. En additionnant les chiffres des différentes ONG, InfoMigrants estime que plusieurs centaines de migrants sont concernés.
Cette vague de violences a démarré après la mort, le 3 juillet dernier, d’un Tunisien à Sfax à la suite d’affrontements avec des migrants. Peu de temps après, des centaines d’exilés subsahariens ont été chassés de la ville, principal point de départ des embarcations pour l’Italie.
Ce climat délétère n’est pas nouveau. Depuis des années, les Subsahariens se plaignent du racisme en Tunisie. Mais leur situation s’est encore détériorée ces derniers mois à la suite du virulent discours du président tunisien Kaïs Saïed, prononcé le 21 février dernier : le chef de l’État y affirmait que la présence de « hordes » d’immigrés clandestins venant d’Afrique subsaharienne était source de « violence et de crimes ». Des propos qu’il a réitéré lundi 26 juin, parlant de migrants qui « terrorisent » les citoyens.
Partenariat UE-Tunisie
Ce discours xénophobe assumé par le président n’a nullement endommagé les relations qu’entretient la Tunisie avec l’Europe, bien au contraire. Dimanche 16 juillet, Tunis et Bruxelles ont signé un « partenariat stratégique » sur l’immigration, en présence notamment de la Première ministre d’extrême-droite Giorgia Meloni et de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen.
Conforté par cet accord, Tunis, bien que pointé du doigt par l’ONU pour ces refoulements dans le désert, fait la sourde oreille. « Nous appelons les autorités à cesser immédiatement toute nouvelle expulsion », indiquait pourtant un communiqué des Nations unis publié mardi 18 juillet. « Nous appelons les autorités à poursuivre et élargir l’accès humanitaire à une zone dangereuse à la frontière tuniso-libyenne où de nombreuses personnes, y compris des femmes enceintes et des enfants, ont déjà été expulsées ».
Le document rappelle aussi que « les expulsions collectives sont interdites par le droit international ». Ainsi, le principe de non-refoulement, inscrit dans le droit international des droits de l’Homme, « s’applique à toutes les formes d’expulsion, indépendamment de la nationalité ou du statut migratoire ».
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D’autres ONG, comme Human Rights Watch (HRW), ont aussi exhorté Tunis à stopper ces opérations de refoulements illégales. Dans un rapport publié mercredi 19 juillet, HRW confirme les « abus » conduits par les autorités tunisiennes, dont « des expulsions collectives », et « des évictions forcées ». L’ONG a notamment récolté les témoignages de sept personnes faisant partie d’un groupe de « 1 200 Africains noirs expulsés et transférés de force par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières avec la Libye et l’Algérie début juillet ».
Des rappels à la loi et au droit sans effet sur Tunis qui, au regard des récentes expulsions, continue d’appliquer sa politique raciste.