Au Royaume-Uni, le nombre de victimes présumées d’esclavage moderne n’a jamais été aussi élevé. Elles étaient plus de 6 500 l’année dernière, selon la ligne téléphonique dédiée, un nombre qui a plus que doublé en un an.
De notre correspondante à Londres,
Un secteur, jusque-là jugé anodin, est aujourd’hui particulièrement concerné par l’esclavage moderne : celui de l’aide à la personne. C’est même devenu la priorité des autorités. Entre janvier et mars, l’organisation Unseen, qui tient la ligne téléphonique d’aide aux victimes, a repéré 109 victimes potentielles qui travaillent dans ce domaine. C’est autant que sur toute l’année 2021.
Le secteur de l’aide à la personne, le « care » ou soin, regroupe des emplois comme les agents de ménage, les aides à domicile ou les préparateurs de repas, pour les personnes âgées par exemple.
Les victimes sont pour la plupart étrangères, recrutées par des agences qui leur promettent de bons salaires et des avantages, comme une voiture de fonction. Elles se retrouvent souvent à enchaîner les journées de travail de 15, 16, 17 heures, sans week-end, pour un salaire jusqu’à cinq fois inférieur au salaire minimum, avec la menace d’être renvoyées dans leur pays en cas d’alerte de la police.
Conséquence du Brexit
C’est le Brexit qui explique cette soudaine hausse de l’esclavage moderne dans les services d’aide à la personne. Après sa sortie de l’Union européenne, le Royaume-Uni a commencé à manquer de main-d’œuvre dans le secteur médico-social et de l’aide à la personne. Jusqu’en 2020, beaucoup d’Européens venaient pour travailler dans le domaine. Alors, le gouvernement a assoupli les règles pour que des employés du reste du monde puissent venir travailler dans le secteur. Le nombre de visas accordés a presque triplé entre mars 2022 et mars 2023.
Cette nouvelle cohorte d’employés sont souvent des personnes isolées et plus vulnérables économiquement que leurs prédécesseurs. Et donc plus faciles à manipuler pour les trafiquants.
Il y a donc plus de cas, et l’organisation Unseen souligne aussi qu’il y a plus de signalements. Avec la sensibilisation effectuée ces dernières années, la médiatisation de certaines affaires, plus de victimes, plus de témoins sont susceptibles de donner l’alerte.
Durcissement de la politique migratoire
Les associations de défense des victimes sont assez pessimistes. Il y a bien une équipe d’enquêteurs dédiés aux affaires d’esclavage moderne, mais moins de 2 % de ces enquêtes débouchent sur des poursuites (même pas des condamnations) car les coupables sont souvent impossibles à localiser. Et le fait que le secteur de l’aide à la personne ait recours à des agences, et donc multiplie les intermédiaires, complique encore la traçabilité.
Par ailleurs, Unseen souligne les dangers de la loi sur l’immigration illégale, qui vient d’être adoptée par le Parlement. Cette loi est censée permettre de réduire le nombre d’arrivées clandestines sur les côtes anglaises, mais selon les associations, le texte donne en fait plus de moyens de pression aux passeurs. En effet, les victimes d’esclavage moderne pourraient être expulsées avant même que leur statut ne soit reconnu.
Texte initialement publié sur : RFI