Deux jours après le rappeur congolais Gims, les Français BigFlo & Oli ont annoncé annuler leur concert prévu à Carthage, en Tunisie. En cause ? « La situation actuelle » qui prévaut dans le pays, à savoir l’abandon, dans le désert, de plus d’un millier de migrants subsahariens.
La Tunisie commence à faire les frais de sa politique raciste. Du moins, à l’échelle culturelle. Mardi 1er août le duo de rappeurs français Big Flo et Oli ont annoncé « reporter » un concert prévu mercredi soir à Carthage en Tunisie.
« On a beaucoup parlé entre frères. Nous ne voulons pas faire le show à Carthage ce soir en ayant connaissance de la situation actuelle », ont-ils écrit sur leur compte Instagram. Prévu au Festival international de Carthage, le concert était attendu par 4 000 fans. « On se faisait une joie de vous rencontrer […], promis on viendra vous voir », a assuré le duo.
Bigflo & Oli ont également annoncé reverser la somme de leur cachet initialement prévu à l’ONG Médecins du Monde.
Le comité directeur de la 57ème session du Festival International de Carthage a annoncé « avoir été surpris […] de la décision du producteur du concert, et ne pas connaître « la raison de cette décision », a-t-il réagi auprès du site tunisien Kapitalis.
Deux jours plus tôt, le rappeur congolais Gims a fait de même. Son concert prévu sur l’île tunisienne de Djerba le 11 août n’aura finalement pas lieu. Dans son annonce, l’artiste s’est fait plus explicite en affirmant, par ce geste, protester contre « la détresse insoutenable » dans laquelle se trouvent les migrants en Tunisie. « Des enfants, des femmes, des hommes, expulsés de la Tunisie vers la Libye, vivent dans des conditions inhumaines », a écrit dimanche le rappeur sur son compte Instagram.
Ces condamnations interviennent alors que le chef de l’ONU Antonio Guterres a dénoncé mardi les « expulsions » de migrants d’Afrique subsaharienne de la Tunisie vers les frontières libyenne et algérienne. « Plusieurs sont morts à la frontière avec la Libye et des centaines, dont des femmes enceintes et des enfants demeurent, selon des informations, coincés dans des conditions extrêmement difficiles avec peu d’accès à de l’eau et de la nourriture », s’est insurgé un porte-parole d’Antonio Guterres, Farhan Haq.
De son côté, la Tunisie a rejeté « les allégations » de mauvais traitements contre des migrants subsahariens fin juillet. La Tunisie « n’hésite pas à accomplir son devoir d’aide humanitaire aux immigrés africains et autres étrangers sur le sol tunisien », pouvait-on lire dans ce communiqué publié par le ministère de l’Intérieur.
L’Union européenne, qui vient pourtant de passer un « partenariat stratégique » avec la Tunisie à hauteur de 105 millions d’euros pour limiter les traversées maritimes vers l’Europe, n’a pour l’instant pas réagi.
« Déjà trois semaines que nous sommes là »
La semaine dernière, l’ONU a demandé des « solutions urgentes » pour sauver ces centaines personnes. En vain.
Depuis plus de trois semaines maintenant, des groupes de migrants subsahariens tentent de survivre en plein désert. À ce jour, près de 150 migrants subsahariens sont toujours bloqués à Ras Jedir, dans la zone transfrontalière entre la Tunisie et la Libye. Ces exilés ont été arrêtés arbitrairement dans les villes de Sfax ou Ben Guerdane, à la suite de fortes tensions entre migrants et citoyens tunisiens. Déportés aux frontières libyennes et algériennes, ils ont été laissés là par les autorités, sans eau ni nourriture.
D’après l’ONG américaine Human Rights Watch, au moins « 1 200 ressortissants subsahariens » ont été expulsés de Tunisie à la frontière libyenne ou algérienne, depuis début juillet.
Face au silence assourdissant des autorités internationales et à l’inertie de la Tunisie, ils ont organisé mardi 1er août une manifestation en plein désert pour réclamer de l’aide, un retour en Tunisie, un accueil dans un camp de réfugiés ou même un départ vers l’Europe. « Cela fait déjà 3 semaines que nous sommes là, témoigne Kelvin un jeune nigérian de 33 ans joint au téléphone par InfoMigrants. Nous avons manifesté pour interpeller les autorités car on nous traite comme des animaux, mais le président tunisien ne veut pas répondre à nos appels ».
Plusieurs centaines d’entre eux ont eu plus de chance, et ont pu être secourus et pris en charge par des ONG tels que le Croissant-Rouge et Unicef Libye, ou les garde-frontières libyens.
Mais pour d’autres, il était trop tard. Dimanche, le ministère de l’Intérieur libyen a annoncé que six nouveaux corps de migrants avaient été retrouvés. L’un dans le lac Sebkhet el Martha qui chevauche la frontière, deux près de Ras Jdir, et trois derniers corps dans la région d’Al Assah. En tout, près d’une vingtaine de cadavres de migrants abandonnés à la frontière ont déjà été retrouvés par les autorités libyennes ces dernières semaines, selon le décompte d’InfoMigrants. Mais ils pourraient être bien plus nombreux car la zone est vaste et désertique. Et le Sahara ensevelit les corps très rapidement avec les tempêtes de sable.
>> À (re)lire : Elles s’appelaient « Fati » et « Marie » : les corps sans vie pris en photo dans le désert libyen ont été identifiés
Kelvin, lui, est toujours bloqué dans le désert. Depuis trois semaines, le jeune migrant et son groupe tentent de survivre, aux côtés du corps de l’un des leurs. Personne, autorités tunisiennes comme libyennes, n’est encore venu chercher le cadavre.
Avec infomigrants