Aucune région du monde ne compte autant d’États que l’Afrique de l’Ouest. Pour une superficie de 6.419.000 km², la région CEDEAO compte jusqu’à quinze États souverains, alors que l’association latino-américaine de libre-échange (A.LA. LE) s’étale sur une superficie trois fois supérieure : 19.300. 000 km² et ne compte que onze États. En Afrique occidentale, il y a, en moyenne, un État pour seulement 401.000 km². Parlant de ce morcellement, P. Kjetd fait remarquer à juste titre et non sans ironie « qu’on trouve dans le continent africain 20% des terres du globe, 10% de la population du monde, 2% du produit industriel brut mondial et 30% des gouvernements du monde ». Cette particularité géographique ne sert point la cause de l’intégration, quelle que soit la nature des discours politiques. Elle est surtout néfaste au moment des concertations. En effet, dans la mesure où « l’intégration implique un grand nombre d’engagements dans des domaines très divers (…) les négociations sont plus faciles lorsque le nombre de pays participants est relativement réduit ». L’origine de ce morcellement remonte à la conférence de Berlin de 1884, qui fixa les premières modalités de l’occupation coloniale.
Les frontières artificielles, érigées en fonction des besoins d’encadrement coloniaux, ne respectaient point les grands ensembles économiques auxquels la géographie physique et humaine de l’Afrique peut faire penser. Par ailleurs, en séparant les groupes sociaux, en rassemblant d’autres qui se disent différents, et en ne tenant pas compte des facteurs sociaux de consolidation comme la religion, les anciens grands empires ou royaumes, ces frontières ne favorisent pas l’apparition d’un sentiment national. D’autant plus que, si l’on suit les experts de la CNUCEDE, cette région se caractérise aussi par une forte concentration ethnique. Par exemple, on note en Côte d’Ivoire plus d’une soixantaine d’ethnies ne parlant pas la même langue. Dans cette zone, chaque groupe d’individus se distingue par sa langue vernaculaire, qui ne s’écrit pas dans la plupart des cas. Si dans les pays africains francophones, la langue française sert de trait d’union, la communication est chaotique entre États membres de la CEDEAO confrontés à un multilinguisme hérité autant de la période (pré)coloniale.
En somme, nous retenons que la communication de masse, indispensable à la diffusion des mesures de politique économique, est encore problématique en Afrique de l’Ouest. Malgré toutes ces difficultés, la création de la CEDEAO a un sens : elle constitue, par la solidarité et la cohérence en matière de gouvernance économique qu’elle appelle, un remède possible contre les effets pervers de la mondialisation. Seulement, la thèse qui sera développée dans la présente étude est de dire que l’interpénétration des économies ouest africaines ne pourrait jamais se réaliser en se contentant de supprimer les barrières douanières inter-États et en adoptant un tarif extérieur commun. Pour rendre cette interpénétration effective et efficace, il serait judicieux de recenser et de supprimer tous les cas possibles de double imposition, de coordonner les politiques économiques et monétaires comme on tente de le faire au niveau de l’UEMOA. A ce titre, la partie ci-dessus explique les inégalités de développement des Etats membres et leurs performances macroéconomiques en CEDEAO.
Les inégalités de développement des États membres de la CEDEAO
A partir du tableau qui précède, on observe une faiblesse des indicateurs macroéconomiques, comparativement à ceux des pays industrialisés notamment. Ce que cette faiblesse traduit, c’est, d’une manière générale, le fait que les pays constituant la CEDEAO sont ceux dont le niveau de développement est le plus bas dans le monde. De plus, il existe une grande disparité de développement entre les États qui la composent. Cette disparité existe d’abord au niveau agricole où on note une diversification de la production dans la zone subtropicale qui s’étend le long de l’Océan Atlantique, de la frontière du Libéria et de la Sierra Léone, aux parties sud de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Ghana, du Togo, du Bénin et du Nigeria, qui bénéficient d’une meilleure pluviométrie. C’est le domaine des plantations de café, de cacao, d’hévéa, de palmiers à huile et de la forêt, la zone de savane recouvre la région occidentale du Libéria, la région frontalière Sénégalo-Guinéenne, les régions septentrionales de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo, du Bénin et du Nigeria. Cette zone se caractérise par des conditions climatiques moins bonnes que dans la zone subtropicale. Les principales cultures sont le coton et l’arachide. Il s’agit du Niger, du Mali et du Burkina Faso. Cette inégalité de répartition des ressources agricoles a favorisé la concentration des richesses agricoles dans la zone côtière avec pour conséquence une polarisation de la croissance autour de certaines villes côtières, au détriment des zones sahéliennes de l’intérieur. Par ailleurs, les ressources naturelles y sont importantes. Le Nigeria (gros producteur industriel), la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Bénin figurent parmi les pays producteurs de pétrole. Même si les gisements ne sont pas suffisamment importants, ils constituent néanmoins un appoint non négligeable eu égard à la dimension des marchés locaux. Le Sénégal et le Togo sont producteurs de phosphates, la Guinée est riche en fer et en bauxite comme le Libéria, tandis que le Niger possède de l’uranium. Le sous-sol malien et ghanéen fournit de l’or. Dans l’ensemble, l’inégalité de répartition est à observer tant dans le domaine minier qu’industriel et les pays côtiers sont dans ces domaines aussi, mieux lotis que les pays enclavés. Comme on peut bien le constater, la CEDEAO se caractérise par la diversité de son économie et une potentialité dont les implications sont nombreuses. Sur ce point, indiquons, à titre illustratif, deux problèmes structurels : le premier résulte du fait que, lorsque des pays d’une même zone d’intégration n’ont pas des niveaux de développement comparables, les plus en retard ont tendance à résister à la libéralisation. Cette attitude se comprend aisément, dans la mesure où ils n’ont pas d’industries capables de profiter dans l’immédiat du marché régional. Par ailleurs, ils éprouvent d’énormes difficultés à protéger leurs industries naissantes, contre une forte concurrence qu’entraîne la suppression des barrières douanières. Dans un tel contexte, comment donner confiance à des pays comme le Niger, le Mali et le Burkina Faso dont le niveau de développement est assez bas, face à des États comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal dont la compétitivité internationale et l’agressivité commerciale s’affirment davantage ?
En effet, la Côte d’Ivoire (hors situation de crise) exporte quarante fois plus de marchandises que le Burkina Faso et vingt-cinq fois plus que le Mali alors que ces trois pays ont à peu près le même nombre d’habitants. Le Nigeria, à lui seul, compte les deux tiers de toute la population de la CEDEAO. Ces rapprochements nous paraissent assez éloquents et en disent long sur la force des uns et la faiblesse des autres. Parallèlement à cette différence de niveau de développement, l’économie de ces pays est largement dirigée vers l’extérieur de la zone, ce qui constitue un des handicaps majeurs au développement du commerce : « L’Afrique a fort peu à vendre à l’Afrique ».
Cette réalité se vérifie bien dans la zone de la CEDEAO. En effet, si l’arachide constitue pour le Sénégal le principal produit d’exportation, sa production est aussi importante au Nigeria, et au Mali. Au Nigeria, l’huile de palme est produite en quantité de même qu’en Côte d’Ivoire. Mais elle constitue aussi l’une des composantes essentielles des produits d’exportation de la Sierra Leone, de la Guinée, du Liberia et de la Guinée Bissau. Si la Côte d’Ivoire est le plus gros producteur de café dans la sous-région, les pays voisins que sont le Ghana, le Togo et le Nigeria produisent aussi du café. Ces produits de base similaires dans la communauté et destinés à l’exportation représentent pour chacun des États un intérêt tellement vital pour leur développement qu’il n’est point possible pour eux de renoncer à leur culture même pour favoriser un autre plus rémunérateur. D’où le caractère assez extraverti de l’économie de la région. En fait, si elle permet aux économies des États de mieux s’insérer dans celle de la mondialisation, cette même extraversion ajoutée à la forte dépendance des prix des matières premières constitue en définitive une difficulté pour l’intégration économique de la CEDEAO. Dans ces conditions, la « satisfaction des besoins essentiels » ne saurait être atteinte de manière autonome, et la stratégie « d’autonomie collective » qui constitue le moyen principal de l’intégration régionale ne serait qu’un vœu difficilement réalisable. Cette situation est renforcée par l’existence de plusieurs zones monétaires dans la sous-région.
Le second problème lié à la différence de niveau de développement est d’ordre général. Il s’agit du risque d’amplification des courants migratoires que pourrait engendrer le principe de la libre circulation des facteurs de production : Travail et Capital. En Afrique de l’Ouest, le phénomène migratoire se caractérise notamment par une convergence des populations du Mali et du Burkina Faso vers les pôles de croissance : la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Nigeria. Si ce phénomène migratoire aide au développement du pays d’accueil par un apport de main-d’œuvre, elle peut aussi, en dépassant certaines limites, poser de graves difficultés telles que la perte des hommes valides dans les pays de départ, l’urbanisation sauvage et le grand banditisme. Sur ces difficultés de niveau de développement se greffent d’autres problèmes non négligeables tel que les Coup d’Etat militaires (Mali, Guinée, Burkina Faso et Niger).
Dr BAH ALIOU, Inspecteur Principal des Impôts.