Plus d’un mois après avoir quitté les côtes sénégalaises pour rejoindre l’archipel espagnol des Canaries, une pirogue a chaviré lundi 14 août au large du Cap-Vert. Parmi la centaine de personnes qui avaient pris place à son bord, seules 38 ont été retrouvées vivantes, laissant présager un grand nombre de victimes.
Partis le 10 juillet de Fass Boye, au Sénégal, ils étaient une centaine d’exilés pour la plupart sénégalais à avoir pris place à bord d’une pirogue qui devait les mener jusqu’à l’archipel espagnol des Canaries. Seuls 38 d’entre eux ont été retrouvés vivants après le naufrage de leur pirogue, lundi 14 août, au large du Cap-Vert, a indiqué le ministère sénégalais des Affaires étrangères dans un communiqué diffusé mardi soir.
L’embarcation a été repérée lundi à environ 150 milles nautiques (277 km) de l’île de Sal par un navire de pêche espagnol qui a alerté les autorités cap-verdiennes. La pirogue semble avoir dérivé jusque dans cette zone, située à l’écart de la route des Canaries, à environ 500 km de Dakar. Il faut généralement entre quatre et sept jours pour parcourir les quelques 1 700 km qui séparent les côtes sénégalaises des Canaries.
Les naufragés ont été secourus puis transférés vers le port de Palmeira, sur l’île de Sal. Un responsable des services sanitaires de l’île a fait état de 38 rescapés auprès de l’AFP, dont sept nécessitant une hospitalisation. L’institut médico-légal a indiqué avoir reçu les dépouilles de sept personnes.
« Il faut ouvrir nos bras et accueillir les vivants et enterrer les morts avec dignité », a déclaré la ministre de la Santé Filomena Goncalves, citée par l’agence de presse Inforpress. Les autorités sénégalaises ont déclaré faire le nécessaire pour organiser le rapatriement de leurs ressortissants « dans les meilleurs délais ».
Samedi 12 août, une autre pirogue, partie elle aussi de Fass Boye, a sombré au large de Dakhla, dans le sud du Maroc. Ses 130 passagers, dont une femme, ont été secourus par les autorités marocaines. L’embarcation « comptait rejoindre les îles Canaries » en Espagne, a expliqué une source militaire marocaine citée par l’agence de presse marocaine MAP.
Augmentation des traversées vers les Canaries
La route migratoire des Canaries connaît ces dernières semaines un regain d’activité au départ du Sénégal et de la Gambie. En moins de trois mois, ce sont près de 17 embarcations qui ont quitté les côtes sénégalaises, a précisé Ahmadou Bamba Fall, coordonnateur de l’ONG sénégalaise « Village du migrant » au quotidien espagnol El Pais.
Et selon les derniers chiffres du ministère espagnol de l’Intérieur, 12 704 migrants sont arrivés de façon irrégulière en Espagne au premier semestre 2023 dont une majorité (7 213) aux Canaries. Un chiffre néanmoins en baisse de 11,35 % par rapport à la période correspondante de 2022.
Cette route est davantage empruntée ces dernières années, en raison du durcissement des contrôles en Méditerranée. C’est un périple particulièrement dangereux et les naufrages y sont fréquents. Selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), 126 migrants sont morts ou ont disparu dans la traversée vers les Canaries au premier semestre 2023. L’ONG espagnole Caminando Fronteras avance pour sa part le chiffre de 778 morts ou disparus.
L’économie sénégalaise en crise
À l’origine de cette hausse des traversées, les récentes tensions politiques qui ont traversé le pays. Ces derniers mois, de vives contestations – lourdement réprimées – ont éclaté au Sénégal, d’abord contre un troisième mandat du président Macky Sall – qui depuis a renoncé – puis après l’annonce de l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko.
Mais l’une des causes principales de l’exil de ces milliers de jeunes Sénégalais est la situation économique et la paupérisation qui touche la population. L’inflation, liée notamment à la guerre en Ukraine, plombe l’économie et le prix des matières premières s’est envolé. À titre d’exemple, un kilo d’oignons se vendait environ 300 francs CFA (soit 0,46 centimes d’euros) avant la crise, contre 1 000 francs CFA (1,52 euros) aujourd’hui.
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Le secteur informel, qui fait vivre la majorité de la population, a été touché de plein fouet par les restrictions liées au coronavirus. Les domaines du commerce ou de l’artisanat ne sont pas parvenus à se relever. Par ailleurs, le secteur de la pêche artisanale, qui fait vivre de très nombreuses familles, est également durement mis à mal par la pêche industrielle, le changement climatique et l’installation prochaine d’une plateforme gazière à une dizaine de kilomètres au large de Saint-Louis, au nord du pays.
Plan de lutte contre l’émigration irrégulière
Pour freiner ces départs, le gouvernement sénégalais a présenté fin juillet un plan de lutte contre l’émigration irrégulière, axé sur un renforcement de l’accès à l’éducation et à la formation, un soutien à l’entrepreneuriat pour la création d’emplois, mais aussi sur une meilleure gestion des frontières.
Pour limiter l’exode de ses ressortissants, Dakar compte également sur l’aide de ses partenaires européens. L’Espagne et la France ont récemment versé une aide de neuf millions d’euros pour lutter contre la migration irrégulière. L’UE est également mise à contribution, via la formation de la police aux frontières sénégalaise et la fourniture de matériel high-tech, indique le New York Times.
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Cela permettra-t-il de redonner espoir à la jeunesse sénégalaise ? Par manque de perspectives, de nombreux Sénégalais continuent de rêver d’une vie meilleure et d’embarquer pour l’Europe. « L’Espagne… On veut tous y aller, a confié à l’AFP Abdou, un Sénégalais d’une vingtaine d’années. Si une pirogue part, je saute tout de suite dedans. Il n’y a pas de travail ici, pas d’argent. L’unique solution, c’est l’Espagne ».
Avec infomigrants