La fermeture des frontières décidées par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) après le putsch militaire au Niger du 26 juillet a conduit au blocage de milliers de migrants, stoppés net sur leur route migratoire. Une attente qui suscite beaucoup d’angoisse et de désespoir chez les exilés, « coincés » dans le pays.
Harouna a quitté le Cameroun en 2020. Membre de la communauté LGBT, il ne supportait plus de vivre enfermé « entre quatre murs », par peur des persécutions en raison de son orientation sexuelle. Trois ans et demi plus tard, au Niger, le jeune homme de 24 ans est amer. Son quotidien est le même. « Je n’ose pas sortir. Je passe toutes mes journées là, à attendre. C’est très dur ». Depuis le coup d’État perpétré au Niger le 26 juillet et le renversement du président Mohamed Bazoum, Niamey vit sous l’autorité d’une junte militaire dirigée par le général Abdourahamane Tiani. Un putsch qui a considérablement compliqué la vie des migrants, présents par milliers dans le pays.
Depuis plusieurs années déjà, le Niger est une étape clé pour les exilés subsahariens. Ses frontières de plus de 5 500 km partagées avec six États voisins placent le pays au centre de la plupart des routes migratoires de la région, à destination de l’Europe. Le pays accueillent aussi les exilés ayant fui la Libye, ou expulsés d’Algérie. Au cours du premier semestre 2023, plus de 60 000 migrants ont traversé le Niger à la recherche d’une vie meilleure.
Mais depuis le coup de force du 26 juillet, impossible pour les exilés de quitter le Niger. Les migrants sont donc bloqués, sans aucune échappatoire.
Partout dans le pays, les sept centres d’accueil gérés par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), d’une capacité totale de 5 000 places, sont à saturation. « Des centaines de personnes attendent de l’aide à l’extérieur » des locaux de l’agence onusienne déplore l’institution dans un communiqué publié le 18 août. Ailleurs au Niger, « environ 1 800 exilés attendent une assistance, en dehors des centres de transit ».
Pour ceux qui ne souhaitent plus se rendre en Europe et qui préfèrent faire marche arrière, là encore, les difficultés sont de taille. La fermeture des frontières avec le Bénin et le Nigeria, ordonnée par la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) quelques jours après le putsch, rend impossible un éventuel retour dans ces pays. L’arrêt du trafic aérien décidé au même moment empêche par ailleurs tout retour volontaire en avion dans les pays d’origine, organisé d’ordinaire par l’OIM.
Conséquence : « en dix jours, de multiples départs […] de plus de 1 000 migrants, principalement du Mali et de la République de Guinée, ont été annulés ou reportés », déplore l’organisation onusienne. Pour ces personnes dans l’impossibilité de rentrer chez elles, l’OIM réclame un corridor humanitaire.
« Qui va nous aider ? »
À Niamey, Harouna confie « ne plus savoir quoi faire », ni « où aller ». « À cause de la fermeture des frontières, je ne peux même pas revenir sur ma demande d’asile et quitter ce pays. Le HCR [Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés, ndlr] nous dit juste qu’il faut attendre. Qui va nous aider alors ? J’ai le sentiment que nous, les migrants, on nous a oubliés ».
Le jeune Camerounais, membre de la communauté LGBT, affirme par ailleurs que depuis le putsch, « la population est agressive, Il y a une tension qu’il n’y avait pas avant ». « Avec mes camarades, on a trop peur de sortir car les gens nous insultent, ils disent que nous, les LGBT, on est soutenu par la France ». « Ce qu’on aimerait, c’est un élan de solidarité envers nous », abonde Rodrigue, un exilé Camerounais qui vit aux côtés de Harouna, dans un dispositif d’hébergement temporaire (DHT), une maison prêtée aux exilés par le HCR. « On ne veut plus prendre la mer pour l’Europe, juste partir d’ici ».
Depuis le coup d’État, « les menaces d’intervention militaire pour rétablir l’ordre constitutionnel ont exacerbé les tensions, rendant le contexte opérationnel difficile », affirme le HCR dans un communiqué. L’institution affirme « poursuivre » malgré tout « ses opérations dans tout le pays ».
David, un migrant éthiopien de 40 ans également hébergé par le HCR dans la capitale, voudrait lui aussi « partir, continuer [sa] route ». « Mais tout est bloqué. Ça m’angoisse de ne pas pouvoir aller où je veux, explique-t-il. Et puis ici, à Niamey, c’est très stressant. Depuis le coup d’État, il y a des véhicules militaires partout, j’ai peur qu’une guerre éclate. Je ne pensais pas vivre ça en quittant l’Éthiopie ».
À Assamaka, « les expulsions ont continué »
À plus de 1 000 km de là, à Assamaka, dans le nord-ouest du Niger, la situation est tout aussi difficile pour les migrants. C’est là, dans cette petite ville d’un peu moins de 3 000 habitants que trouvent refuge les exilés expulsés d’Algérie.
Certains sont déposés directement par les autorités algériennes dans le centre de l’OIM de la commune. D’autres doivent effectuer les 15 km à pied qui séparent Assamaka du lieu-dit Le Point Zéro, en plein désert, où chaque année, des milliers de migrants sont abandonnés sans eau, ni nourriture ni outils d’orientation par les autorités algériennes. Entre le 1er janvier et le 16 juillet, 19 688 migrants ont été expulsés dans le Sahara par Alger.
D’après Azizou Chehou, coordinateur de l’ONG Alarme Phone Sahara qui porte assistance aux migrants dans le désert, après le putsch, « les expulsions ont continué ». Actuellement, 1 354 personnes patientent dans le centre de l’OIM, et 1 333 autres dans celui de la COOPI, une ONG italienne. Elles s’ajoutent aux 825 ressortissants maliens qui campent dans la cour d’une école, et à 300 autres migrants qui errent dans les rues d’Assamaka.
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Comme ailleurs dans le pays, ici, les migrants sont « bloqués ». « Avant le coup d’État, l’OIM organisait des transferts dans d’autres centres du pays, pour libérer des places. Certains déplacements étaient également organisés par les autorités. Mais depuis le 26 juillet, il ne se passe plus rien », rapporte Azizou Chehou, de retour à Niamey après quelques jours dans le nord du Niger. Les migrants sont stressés, ne savent pas quoi faire et à qui demander de l’aide ».
Cette « inertie » est source d’angoisse pour les migrants, qui n’ont pas forcément l’argent nécessaire pour se rendre ailleurs par leurs propres moyens. « Aller à Arlit, à 210 km d’Assamaka, cela coûte 10 000 francs CFA [environ 15 euros, ndlr]. Tout le monde ne les a pas, et les familles des migrants, qui ont déjà déboursé de grosses sommes pour le départ, n’acceptent pas forcément de donner encore des sous », ajoute le militant.
Retour dans le désert
Coincés, et ne sachant plus « à quel saint se vouer », certains migrants ont préféré ces derniers jours « retourner dans le désert ». Au péril de leur vie. Chaque année, de nombreux exilés disparaissent sans laisser de trace dans le Sahara. Selon un rapport de l’OIM, plusieurs centaines de personnes sont mortes ou sont portées disparues sur les routes migratoires irrégulières qui traversent le Niger, dans le désert, au cours du premier trimestre 2023.
« Parfois sur la route, on tombe sur des cadavres, déplorait, en mars, Azizou Chehou à InfoMigrants. Depuis le début de nos activités, on a trouvé une centaine de corps, vers la Libye ou l’Algérie. Le plus souvent, les dépouilles sont en état de décomposition avancée. On les couvre de sable comme on peut, on fait avec les moyens du bord ».
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À cause de l’immensité de la zone, difficile d’établir un bilan précis des décès dans le désert au nord du Niger. Un rapport de Border Forensics publié au mois de mai indiquait que certains corps d’exilés pouvaient être retrouvés des mois, voire des années après les décès. « Dans le Sahara, les tempêtes de sable et de vent sont fréquentes. Les traces des véhicules disparaissent rapidement. Si vous posez un objet dans le sable, il disparaîtra très vite, expliquait à InfoMigrants Rhoumour Ahmet Tchilouta, chercheur à Border Forensics. C’est pareil avec les cadavres. Certaines dépouilles sont ensevelies à tout jamais ».
Avec infomigrants