Depuis le mois de mai, les Terrasses solidaires, centre d’accueil à Briançon, dans les Hautes-Alpes, croulent sous les besoins d’hébergement d’urgence, à mesure que les exilés franchissent la frontière franco-italienne. Les associations et leurs bénévoles appellent à l’aide les autorités depuis des semaines, mais aucune alternative n’est proposée pour le moment. Reportage.
L’ancien sanatorium de Briançon n’aura jamais vu autant de monde. Depuis 2021, il accueille des hommes, femmes et enfants, sur la route de l’exil. Le refuge et ses 60 places d’hébergement est le premier de ce côté de la frontière franco-italienne.
Depuis mai, les arrivées se multiplient, de nuit comme de jour. « Le passage a toujours existé, explique Luc Marchello de l’association Refuges solidaires, mais il s’est intensifié en 2016, et encore davantage depuis ce printemps 2023. » L’augmentation des arrivées en France s’explique par la hausse des débarquements en Italie cette année. Depuis janvier, plus de 105 000 personnes ont débarqué sur les côtes italiennes, contre près de 50 000 à la même période de 2022, selon les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
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Un jeune Ivoirien nous raconte anonymement la difficile route à travers la montagne pour arriver jusqu’au refuge. C’était sa deuxième tentative. La première fois, la police aux frontières l’a intercepté. « Nous sommes partis vers 1h du matin, dans la nuit, il faisait noir. L’un de mes amis à fait demi-tour, il avait trop peur, mais nous avons trouvé le courage de continuer. La Méditerranée, à côté, c’était encore pire. »
Les yeux rivés sur le GPS de son portable, il réussit à guider ses amis hors de l’épaisse forêt qui tapisse le col de Montgenèvre, en prenant soin de ne faire aucun bruit et de prendre des chemins détournés pour éviter toute rencontre avec les forces de l’ordre. Il est 6h du matin quand ils arrivent aux Terrasses solidaires.
L’hébergement d’urgence devenu une priorité
Sur place, l’association Refuges solidaires, qui tient une permanence d’accueil, lui offre un lit, des draps, du savon et du dentifrice. Le centre compte en temps normal 60 lits, répartis dans plusieurs chambres. Mais ce week-end-là, en plein mois d’août, ce sont 200 personnes qu’il faut loger à la nuit tombée. Des lits de camps et des matelas au sol sont installés dans le réfectoire, dans les salles de réunions et les couloirs. Des tentes ont également été dressées sur la terrasse extérieure du sanatorium.
Ce lieu est géré par quatre associations : Refuges solidaires qui prend notamment en charge l’hébergement d’urgence, Médecins du Monde qui assure la permanence médicale, Tous Migrants qui gère le plaidoyer, et Eko qui œuvre pour l’autonomisation des exilés et la transmission de compétence pour permettre l’insertion.
Cet été, les humanitaires se retrouvent bousculés par le nombre de personnes à prendre en charge dans l’urgence. Béchira, salariée de Refuges solidaires, ne réussit plus à consacrer le temps qu’elle voudrait à chaque jeune qui défile dans son bureau. En temps normal, elle les accueille individuellement après leur arrivée pour discuter avec eux, connaître leur destination s’ils en ont une, les aider à réserver un billet de train pour rejoindre leur famille, et leur expliquer les démarches à faire pour, par exemple, faire reconnaître leur minorité et accéder à la prise en charge prévue par la loi pour les mineurs non-accompagnés.
Mais depuis mai, ils sont trop nombreux et la jeune femme se sent dépassée par la situation. « Après les traumatismes qu’ils ont vécus, on voit bien que certains ont besoin d’un psychologue, d’autres ont besoin de se reposer, de rester ici deux ou trois semaines. Mais si on veut pouvoir accueillir les autres, il faut les faire partir le plus vite possible et on n’a pas le temps d’en discuter avec eux. C’est très frustrant. »
Une frontière dangereuse
Les traversées se font par le col de Montgenèvre, station de ski prisée des touristes en hiver. Durant cette saison, les équipes de Médecins du Monde se rendent directement en montagne pour venir en aide à celles et ceux qui pourraient y rencontrer les difficultés liées aux conditions climatiques difficiles. L’été, les risques sont également présents, car la présence de la police oblige les exilés à se frayer des chemins plus haut et à emprunter des voies accidentées.
Pour Isabelle, qui tient la permanence médicale aux Terrasses solidaires, la tâche des humanitaires est rendu plus compliquée par les forces de l’ordre. « Plusieurs d’entre nous se sont fait harcelés, nous subissons des contrôles réguliers, nous recevons des amendes mensongères », détaille-t-elle.
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L’association Tous migrants, elle aussi, pointe du doigt l’action de la police aux frontières (PAF). Lorsqu’un exilé est intercepté, il est amené au poste et à, selon la loi, le droit d’y enregistrer une demande d’asile. Mais ce protocole ne serait que rarement appliqué. À la place, la personne interpellée est placée temporairement dans une zone de mise à l’abri avant d’être raccompagnée par la police italienne de l’autre côté de la montagne.
C’est au moment de ce contrôle par la PAF que les mineurs non accompagnés peuvent demander la protection liée à leur statut. Selon les témoignages recueillis par l’association Tous Migrants, ce protocole est quant à lui plutôt respecté.
Depuis 2016, une dizaine de jeunes hommes, âgé de 15 à 33 ans ont perdu la vie à cette frontière. Le dernier d’entre eux a été retrouvé le matin du 7 août par un randonneur. Comme tant d’autres, Moussa, jeune Guinéen né en 2004, voulait rejoindre la France.