Le 24 juin 2022, plus de 2 000 migrants, principalement soudanais, tentent de franchir le poste-frontière du Barrio Chino, qui sépare les villes de Nador et Melilla. La répression des polices espagnole et marocaine durera plusieurs heures, et seuls 200 d’entre eux réussiront à passer en Espagne. L’Association marocaine des droits humains (AMDH) dénombre au moins 27 morts et 70 disparus.
Pour les associations de défenses des migrants, ce drame symbolise toute la cruauté du mur qui s’élève entre l’Europe et l’Afrique. Franck Lyanga est le secrétaire général de l’Organisation des travailleurs immigrés au Maroc : « Un mur est fait pour barrer la route aux exilés. Pour le migrant qui est à la recherche d’une vie meilleure, c’est une difficulté très importante, parce qu’il cherche toujours à aller de l’autre côté. Raison pour laquelle il y a eu des assauts. Je crois que s’il y avait un passage simple, mais contrôlé et surveillé d’une autre manière, il n’y aurait pas ces événements. »
une muraille infranchissable
Au fil des années, la surveillance de la frontière a été renforcée par les autorités marocaines. Aujourd’hui, pour beaucoup de candidats à l’exil, le passage par la voie terrestre n’est plus une option. « On ne peut pas passer par le mur. Il y a les militaires, des caméras, des radars, c’est impossible… En plus, s’ils te chopent, la première fois, ils te lâchent, mais la deuxième fois, tu risques la prison », explique Amine, un exilé qui est parvenu à atteindre l’enclave espagnole.
Comme Amine, Oussama a rejoint Melilla à la nage, il y a quelques semaines, au péril de sa vie. « J’ai passé sept heures dans l’eau. C’était très difficile, et une fois arrivé dans les eaux espagnoles, on s’est retrouvé près d’un port. Il y a énormément de passage de bateaux, on ne savait pas quand ils allaient passer. Donc on a eu très peur de se retrouver nez à nez avec un paquebot… J’ai vu des jeunes passer par là et se faire tuer. », explique le jeune homme.
Mais ce mur, devenu ce 24 juin 2022 la frontière la plus meurtrière d’Europe, n’a pas toujours été cette muraille infranchissable. Maïté Charté est née à Melilla. Elle s’occupe depuis plus de 20 ans des jeunes migrants en difficulté. Elle dirige aujourd’hui dans l’association Mecs de la rue dans l’enclave espagnole et revient sur l’historique de ce mur.
« Au début, et jusqu’au moment où ils ont commencé à ériger le mur, en 1998-2000, il n’y avait pas de séparation entre le Maroc et l’Espagne, ou entre Melilla et Nador. Les gens entraient et sortaient par la frontière en montrant simplement la carte d’identité, et ils les laissaient passer sans aucun problème. Ensuite, dans la campagne, il y avait un petit barbelé qui ne mesurait pas plus d’un demi-mètre et on pouvait entrer. Les gens de Melilla passaient dans la campagne de Nador, ou les gens de la campagne de Nador entraient à Melilla. La relation était différente, on n’aurait pas dit deux pays différents mais un territoire, et des gens qui vivaient sur ce territoire. »
Le mur, une « protection » contre l’immigration
Depuis, les choses ont bien changé. Le mur atteint désormais 12 mètres de hauteur, et un large fossé a été creusé tout au long des 10 kilomètres de frontière. La nouvelle génération espagnole n’envisage plus une vie sans cette imposante séparation.
« Les gens de Melilla pensent que c’est une protection, parce qu’ils estiment qu’ainsi, les étrangers ne vont pas venir. L’immigration est considérée ici comme une invasion. La revendication marocaine de Melilla et Ceuta a une conséquence très importante aussi sur le sujet. Le mur sert à contenir ce désir marocain très fort de venir envahir la ville. Et cela est vu comme un péril », explique José Palazon, fondateur de l’ONG de protection de l’enfance Prodein.
Depuis le rapprochement diplomatique entre le Maroc et l’Espagne en avril 2022, aucune tentative massive de franchissement du mur n’a été enregistrée. Côté marocain, les migrants sont désormais tenus à l’écart du mur de Melilla.
Texte initialement publié sur : RFI