Soutenus par des avocats et associations, une trentaine de jeunes se déclarant mineurs ont saisi le tribunal administratif de Nice pour être pris en charge. Venus de Guinée et de Côte d’Ivoire pour la plupart, âgés de 13 à 17 ans, certains attendent depuis près de quinze jours une mise à l’abri.
Une série d’audiences s’est ouverte au tribunal administratif de Nice, à partir de jeudi 31 août, pour une trentaine de jeunes migrants se déclarant mineurs, jusqu’ici non mis à l’abri ni évalués par le département des Alpes-Maritimes. Ils sont majoritairement Guinéens et Ivoiriens, avec quelques ressortissants d’autres pays, notamment « un jeune pakistanais et un Tunisien », indique leur avocat Me Zia Oloumi, joint par Infomigrants.
Sur la liste des jeunes concernés par les recours, qu’Infomigrants a pu consulter, les cas d’un Malien, d’un Camerounais et d’un Bangladais sont également mentionnés. Tous ces jeunes sont âgés de 13 à 17 ans.
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Parmi eux, O., accueilli par Christian, bénévole du Secours Catholique et de la Cimade. O. est Ivoirien, et il est âgé d’à peine 14 ans, selon la photographie de son acte de naissance enregistré sur son téléphone.
D’ordinaire, les jeunes se déclarant mineurs comme lui se rendent à la caserne Auvare, à Nice. Ils y sont reçus puis orientés vers des foyers de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), où ils passent ensuite un entretien d’évaluation. Sauf que depuis quelques semaines, la caserne Auvare a refusé de prendre en charge O. comme de nombreux autres.
« On nous dit qu’il n’y aurait plus de place », déplore Christian. « Les foyers de l’enfance ne viennent pas les chercher, le département ne vient pas les chercher. Donc, ça bouchonne », explique le bénévole du Secours Catholique. Lui-même assure s’être présenté à huit reprises à la caserne depuis le 20 août ; « mais huit fois on nous a dit : ce jeune doit attendre dans le jardin » qui jouxte la caserne.
Une majorité de Guinéens et d’Ivoiriens
Jeudi 31 août, seuls quatre jeunes ont pu entrer dans la caserne, selon Tous Citoyens. Sauf que dans le même temps, huit à neuf nouveaux jeunes sont arrivés, selon les témoignages des bénévoles sur place. « Près de dix jeunes arrivent ainsi chaque jour », indique Christian, qui a apporté quelques k-ways face aux intempéries.
En grande majorité, à l’image de ceux engagés dans la saisine du tribunal administratif, ces jeunes sont Guinéens. Les Ivoiriens sont également beaucoup représentés, suivis par d’autres nationalités, comme les Maliens. Les profils des mineurs non-accompagnés changent peu ces dernières années, à Nice, constatent les bénévoles.
De manière plus exceptionnelle, « on a vu passer un jeune Albanais, ou encore des Tunisiens », relève Michel Seonnet de Tous Citoyens. Mais aussi récemment « quelques jeunes du Bangladesh. Mais ils ne font que passer et ne restent pas à Nice ».
Ces jeunes sont, pour la plupart, passés par l’Italie. « Très majoritairement en faisant le trajet Tunisie-Italie », précise Michel Seonnet. Seul l’un d’eux, dans le groupe actuel, est passé par l’Espagne, note-t-il..
« On leur a dit : « allez à Auvare »
Ensuite, depuis l’Italie, « Certains sont arrivés directement en train ; d’autres ont été arrêtés par la police aux frontières (PAF) qui leur a dit « allez à Auvare »… Alors que la PAF devrait les mettre à l’abri », relate Christian. Surtout, « aucun règlement, aucun texte ne dit qu’il faut obligatoirement aller à Auvare », insiste Me Zia Oloumi . « Dès qu’un jeune se déclarant mineur est là, il faut un signalement, une prise en charge ».
U., lui, est arrivé à pied par les reliefs montagneux séparant l’Italie de la France ; il a été pris en charge par la Croix-Rouge qui lui a payé un billet de train pour Nice. Quand le jeune de 14 ans s’est présenté au Secours Catholique, « j’ai appelé le 115, qui m’a conseillé d’appeler une association, qui m’a conseillé d’appeler la responsable d’un foyer de l’enfance, qui m’a dit qu’elle informait le département… Et depuis, plus de nouvelles », retrace Christian.
Ce jeudi aussi, un jeune exilé est arrivé tout droit de Briançon, après avoir franchi la frontière franco-italienne au col de Montgenèvre. L’hébergement y étant saturé – les Terrasses solidaires viennent d’annoncer leur fermeture provisoire -, ce jeune a fait route jusqu’à Nice pour espérer y être correctement accompagné. Sans savoir que là aussi, il se retrouverait sans-abri en attendant son évaluation.
Au total, « une trentaine » de jeunes sont actuellement laissés à la rue en attendant d’être pris en charge, selon Michel Seonnet de Tous Citoyens. Ils dorment autour du jardin ou en bas des immeubles. Certains attendent dans ces conditions depuis presque quinze jours.
Une première mise à l’abri qui en annonce d’autres ?
Depuis hier, la saisine du tribunal administratif commence à porter ses fruits. Le jeune concerné par l’audience du jeudi 31 août a été mis à l’abri dans la foulée, en fin de journée, après que le département ait demandé à Me Zia Oloumi de l’amener dans leurs locaux.
Quid des trente autres ? Ce vendredi 1er septembre, l’avocat est en cours de négociation avec les services départementaux. Ceux-ci demandent, à nouveau, que les jeunes en errance dans le jardin et aux alentours soient amenés dans leurs locaux. « C’est au département de venir les chercher », soupire l’avocat, « c’est à eux de remplir leur obligation ».
Sollicité, le département des Alpes-Maritimes ne souhaite pas s’exprimer davantage sur le sujet. Ses services renvoient vers son communiqué paru la semaine dernière, dans lequel le président du département, Charles Ange Ginésy, parle de « déferlement migratoire en provenance de l’Italie » avec une « hausse de 40% du nombre de jeunes accueillis au 1er trimestre, laissant envisager une situation explosive durant l’été ».
Le département indique qu’au 18 août, 4 333 MNA ont été « pris en charge », contre 4 908 sur la totalité de l’année 2022. Charles Ange Ginésy a sollicité par courrier du 23 août Emmanuel Macron, ainsi que la Première Ministre, Elisabeth Borne, estimant que son département est « la victime collatérale d’une frontière passoire ».
Un jeune d’à peine 14 ans sans-abri depuis deux semaines
La situation est inédite, insistent les associations. « Il y a toujours eu des problèmes de prise en charge : les jeunes devaient attendre 12 à 24h dans la caserne, sans rien à manger, dans un lieu de rétention », relate Michel Seonnet. Les conditions de « mise à l’abri » dans cette caserne, en attendant le transfert des jeunes vers un foyer de l’enfance, posent en effet question au vu des photos transmises à Infomigrants.
« Le dispositif du département, qui n’anticipe jamais les choses, est à saturation. Même les hôtels et lieux d’urgence, ouverts en cas d’afflux, sont déjà pleins », décrit le responsable de Tous Citoyens. L’avocate Me Mireille Damiano confie à Nice Matin n’avoir « jamais vécu une telle situation. Le manque de résilience, d’anticipation, prend de court le Département ».
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Dans la nuit du mercredi au jeudi, la police municipale a « délogé des jeunes dormant devant des bâtiments », soulève Christian. La veille déjà, mardi 29 août, la police avait procédé à une évacuation du jardin. Des sacs contenant les affaires personnelles des jeunes ont été confisqués, selon les témoignages des bénévoles et selon Nice Matin.
Parallèlement au recours auprès du tribunal administratif, Me Oloumi envisage de déposer une plainte pour délaissement de mineurs. Elle concerne au moins un jeune, qui aura 14 ans dans deux mois, et qui vient de passer près de 15 jours dehors. « Cette plainte vise le département, le procureur, les policiers, tous ceux qui ont en charge les mineurs », explique l’avocat. « Je veux comprendre ce qu’il s’est passé dans le circuit, dans leurs pratiques, pour qu’un gamin de 14 ans reste ainsi deux semaines sans être pris en charge ».
Avec infomigrants