Mamoudou Condé, fondateur du mouvement de la renaissance Démocratique de Guinée et Représentant de l’UDRG aux États-Unis, partage son analyse du discours du Président guinéen lors de l’AG de l’ONU et exprime sa vision sur divers aspects politiques et sociaux de la transition.
MC: Je voudrais tout d’abord vous remercier de m’avoir tendu votre micro pour recueillir mes sentiments sur l’actualité socio-politique qui domine notre pays.
Comme bon nombre de Guinéens, j’ai effectivement suivi le discours du Président de la transition Mamadi Doumbouya à la tribune de l’ONU à l’occasion de la 78e Assemblée Générale de cette illustre organisation. Je constate que ce discours a fait couler beaucoup d’encre et suscité beaucoup de débats, aussi bien chez nous en Guinée qu’à l’extérieur du pays. C’est pourquoi je ne voudrais pas trop m’attarder sur cette question de peur de répéter les mêmes choses, car pour moi tout a déjà été dit. Néanmoins, permettez-moi d’apporter quelques remarques sur la forme et la substance de ce discours pour satisfaire votre audience.
À mon humble avis, je pense que ce discours a été l’un des meilleurs discours pro-panafricanistes jamais adressés par un Président africain depuis le discours prononcé par le Président Thomas Sankara le 4 octobre 1984 lors de la 39e Assemblée Générale de l’ONU.
Le discours du Président est caractérisé par sa franchise, sa fermeté et sa sincérité, abordant de manière directe les problèmes liés au chaos institutionnel qui sévit dans la plupart des pays africains. En tant que militaire, il a exprimé ses sentiments sans artifice, sans détour, mais avec une politesse et une dignité appropriées à ses pairs. Il aurait été inauthentique et peu sincère s’il avait prononcé un discours purement formel, en dissimulant ses sentiments derrière des expressions conciliantes et ambiguës dans le seul but de plaire à un certain auditoire.
Le Président Mamadi Doumbouya aborde en profondeur des sujets d’une importance capitale, tels que la souveraineté nationale, l’autodétermination des États africains, le système de gouvernance démocratique, ainsi que les relations entre les puissances occidentales et les pays africains. Son plaidoyer auprès des grandes puissances occidentales témoigne de la volonté claire de tout État souverain de jouir pleinement de son indépendance, de prendre des décisions libres concernant ses choix et priorités en tenant compte des aspirations de son peuple, sans ingérence étrangère. Le Président Mamadi Doumbouya souligne également une corrélation entre les turbulences socio-politiques dans nos pays africains et les actions des pays occidentaux.
Le Président fait également un constat amer sur les conséquences et les avantages du système démocratique tel qu’il est conçu depuis des décennies. Il affirme sans détour que le modèle démocratique imposé à l’Afrique ne fonctionne pas. Cela n’est pas un jugement de valeur de la démocratie en elle-même, c’est un constat, un bilan sur plusieurs décennies d’expérimentation. Or, une recherche empirique s’appuie sur l’observation et l’expérimentation pour confirmer ou infirmer une thèse. C’est cette thèse une fois confirmée qui devient un principe universel. Si ce principe scientifique est vrai, il faut alors reconnaître que la thèse du Président Doumbouya est valable, et donc ce modèle de démocratie mérite d’être réévalué pour répondre plus efficacement aux préoccupations de nos populations. L’ex-président français Jacques Chirac n’avait pas dit, et je cite “La démocratie est un luxe pour l’Afrique”. Et tout récemment, lors d’une interview accordée à l’ex-chef de l’opposition guinéenne sur Nouvel Horizon TV, ce dernier semblait s’accorder avec les propos du Président Mamadi Doumbouya quant à l’apparent échec de la démocratie en Afrique, et les causes liées à cet échec. Il n’est pas un secret pour personne que l’aide internationale au développement des pays africains était conditionnée par l’instauration de la démocratie, et l’acceptation de certaines conditions socio-politiques et économiques pas très orthodoxes selon le standard occidental. Certes, la démocratie est le modèle de gouvernance le plus populaire au monde, mais il n’est pas exagéré de dire que ce système nous a été imposé, sans même tenir compte de nos valeurs et réalités, et à des fins de contrôle de nos richesses.
Beaucoup de gens ont porté un jugement hâtif sur le Président Mamadi Doumbouya en affirmant qu’il est anti-démocratique et qu’il chercherait à instaurer un régime autocratique pour se maintenir indéfiniment au pouvoir. À mon avis, le Président a été mal compris car je ne pense pas que sa critique de la démocratie implique un rejet total de ce système. Le Président invite plutôt les peuples africains à affirmer leur identité culturelle sans hésitation, et à faire preuve d’imagination et d’originalité pour développer un modèle de gouvernance politique en accord avec nos valeurs, nos coutumes et les réalités de nos peuples. Beaucoup de maux et d’injustices ont été commis au nom de cette même démocratie et il est impératif de trouver le juste équilibre.
2. Qu’est-ce que le Président a dit concrètement concernant la politique intérieure de la Guinée?
MC: Le Président Mamadi Doumbouya n’a pas spécifiquement abordé les détails de la politique intérieure de la Guinée lors de son discours à l’ONU. Il faut signaler que traditionnellement, la tribune des Nations Unies n’est pas le lieu pour faire un exposé de la politique intérieure d’un pays, mais plutôt un espace pour aborder les questions d’intérêt mondial ou pour parler de la politique extérieure des pays. Il a principalement mis l’accent sur des sujets tels que la souveraineté nationale, l’auto-détermination des États africains, la démocratie en tant que système de gouvernance, et les relations entre les puissances occidentales et les pays africains. Il insiste sur le désir de la Guinée de participer activement aux affaires mondiales sans être liée à un quelconque bloc d’influence. Le Président propose également un changement de paradigme dans les relations internationales, mettant en avant la nécessité d’une coopération sincère, du respect mutuel entre les nations et d’un partenariat mutuellement bénéfique. Il a également exprimé son opinion sur le modèle de démocratie en Afrique, affirmant que celui-ci ne fonctionne pas de manière optimale et qu’il mérite d’être réévalué pour mieux répondre aux préoccupations des populations. Il invite les peuples africains à affirmer leur identité culturelle et à développer des modèles de gouvernance politique qui correspondent mieux à leurs valeurs et à leurs réalités. De plus, il a appelé les grandes puissances occidentales à revoir honnêtement leurs politiques envers les pays africains, en reconnaissant leur rôle dans les difficultés rencontrées par les démocraties africaines.
En résumé, le Président Doumbouya a abordé des questions politiques et socio-économiques d’ordre général, sans entrer dans les détails spécifiques de la politique intérieure guinéenne.
3. Le Président MD lutte contre la corruption, mais sa gestion est caractérisée par une corruption à grande échelle. Avec l’arrestation des anciens dignitaires tels que Kassory Fofana, Mamady Diane, Damaro etc… vous ne pensez pas qu’il ya du deux poids deux mesures?
MC: Je pense qu’il faut saluer l’initiative courageuse et sans précédent du Président Mamadi Doumbouya de demander à tous ceux qui ont participé à la gestion de la chose publique de rendre des comptes de leur gestion au peuple de Guinée. La création de la CRIEF est un événement majeur dans la vie judiciaire de notre pays et je pense que cela va contribuer énormément à dissiper les velléités de détournement de deniers publics. Ce qui est important pour moi, c’est de s’assurer que les droits des présumés coupables sont respectés et de s’assurer qu’ils auront droit à un procès juste et équitable selon le droit. Quant aux rumeurs d’une corruption à grande échelle qui caractérisent ce régime, je n’ai pas encore eu de preuves palpables, et je n’ai pas encore vu de mandat d’arrêt contre un présumé criminel. Je ne commente que sur les faits, je ne suis pas très à l’aise avec les rumeurs. Ce qui est important, c’est de garder à l’esprit que désormais toute personne coupable de détournement de denier public, ou de corruption sera traduite devant les juridictions du pays et cela pour tous les régimes.
4. Après deux années de transition, quel bilan faites-vous de l’actuel régime?
MC: Les indicateurs socio-économiques demeurent relativement faibles malgré tout ce qui a été entrepris ces dernières années. Cependant, selon la BM, la croissance du PIB devrait atteindre 5,5% d’ici la fin de 2023 et 5,6% en 2024, stimulée par la production minière, la disponibilité de l’énergie et les investissements en infrastructures. Je peux affirmer sans ambages que parmi toutes les administrations qui l’ont précédée, celle-ci se démarque par son actif impressionnant en si peu de temps. Nous pouvons facilement faire une appréciation qualitative et quantitative des réformes et des projets qui contribuent à l’amélioration du cadre de vie de nos compatriotes. Sans prendre le temps de faire une liste exhaustive de tout ce qui a été accompli au cours de ces deux dernières années en matière d’urbanisation, d’infrastructures routières, sanitaires, énergétiques, de réforme de l’appareil judiciaire, de l’administration, de l’armée, et d’amélioration du cadre économique et commercial, pour n’en citer que quelques-uns, on peut se féliciter du travail accompli. Cependant, il faut reconnaître que toute œuvre humaine est perfectible et dans ce sens, nous souhaitons voir beaucoup plus d’initiatives dans l’amélioration des libertés publiques, et une politique plus efficace pour booster l’éducation et la formation professionnelle, et l’emploi des jeunes.
5. Les forces vives envisagent de descendre dans la rue pour exiger le retour à l’ordre constitutionnel. Que pensez-vous de cela?
MC: Je pense qu’il est important de tirer les leçons de nos expériences et de comprendre que nos actions ont des conséquences. On dit qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’une guerre. Si nous faisons le bilan de toutes les manifestations qui se sont déroulées depuis la prise du pouvoir par les militaires, on se rendra compte que le bilan est négatif, car ces manifestations se sont soldées par des pertes en vies humaines et en biens matériels, mais aussi par un grand manque à gagner pour ceux qui vivent de leurs petits commerces journaliers. Ces manifestations paralysent la vie économique et sociale et mettent en danger la sécurité de nos enfants et des citoyens qui ne demandent qu’à vaquer à leurs occupations quotidiennes.
Certes, la liberté d’expression, le droit au rassemblement et à la réunion sont des droits fondamentaux protégés par la constitution, mais ces droits sont aussi soumis à des textes réglementaires qui définissent leurs limites. On ne peut pas faire les mêmes choses et espérer un résultat différent. Il faudrait que les gens puissent user de leur imagination pour protester de manière différente et efficace. Nous avons trop privilégié le recours à la violence dans ce pays et il est temps que nous apprenions à utiliser la force de nos idées. Nous devons apprendre à dialoguer, à négocier, à accepter nos différences et à apprendre à nous pardonner pour l’intérêt supérieur de notre pays. Le dialogue est encore possible, mais il faudrait que les antagonistes transcendent leurs egos et comprennent que l’avenir de toute une nation est en jeu. Nous devons aussi comprendre que nous opérons dans un régime d’exception.
6. Nous avons suivi avec une attention particulière le discours du Président de la transition le 2 Octobre. Nous étions surpris à nouveau qu’il n’est pas évoqué le retour à l’ordre constitutionnel. Pensez vous réellement que la junte militaire en Guinée est prête pour un transfert de pouvoir aux civiles en organisant une élection présidentielle?
MC: C’est mon souhait le plus ardent qu’il y ait un transfert de pouvoir aux civils à travers des élections démocratiques à la fin de la transition. Il faudra apprécier le déroulement du chronogramme de la transition jusqu’à nos jours pour se faire une idée. Quel est l’état d’avancement du chronogramme? Quels sont les obstacles qui pourraient empêcher d’atteindre les objectifs ? Est-ce que ces obstacles sont indépendants de la volonté du CNRD ? Est-ce que toutes les opportunités ont été explorées pour mener à bien le chronogramme de la transition ? Est-ce que tous les partenaires engagés dans le processus ont joué leur partition ? Voici des questions auxquelles il faudra répondre pour savoir si on pourra atteindre nos objectifs.
L’un des obstacles survient lorsque certaines personnes viennent autour de la table de négociation avec des préconditions, ou encore se retirent des discussions pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le processus en pensant que les choses ne se feront pas sans eux. La réussite de la transition nous incombe à tous, et nous avons tous intérêt à ce qu’elle réussisse. Je félicite et encourage tous les leaders qui ont pris part aux concertations et aux discussions dès le début de la transition, notamment les présidents Bah Oury, Lansana Kouyaté et bien d’autres. Mr. Bah Oury ne ménage aucun effort pour mettre ses compétences et son expérience au service du pays, et c’est ça aussi le patriotisme, l’altruisme, et le sens de la responsabilité. Chacun peut apporter sa contribution sans nécessairement attendre quelque chose en retour. Moi, je garde encore espoir que nous y arriverons avec un peu de bonne volonté.
7. On parle d’un éventuel remaniement ministériel et le nom du leader Bah Oury est souvent cité comme pressenti pour occuper le poste de premier ministre. Qu’en pensez vous?
MC: Mr. Bah Oury ferait un excellent Premier Ministre car il a toutes les qualités et les compétences requises pour accomplir cette haute fonction. Vous n’ignorez certainement pas son excellent parcours universitaire, professionnel et politique qui le placent au-dessus de la mêlée. Mr. Bah Oury est un homme intègre, mesuré, un diplomate chevronné, un homme de paix et un patriote. Il n’a jamais été associé à aucune malversation financière, ni à aucune affaire de corruption dans ce pays. Il est très rare de trouver de tels individus dans l’espace dans lequel nous opérons. L’intégrité, la constance et la confiance sont des atouts très importants en politique. Si ces atouts ne sont pas évidents chez la plupart des leaders de l’opposition, et non des moindres, je peux vous assurer que Mr. Bah Oury ne souffre d’aucune de ces maladies. Tout au long de sa carrière politique, il a toujours privilégié les intérêts du peuple au-dessus de ses intérêts personnels. Bah Oury transcende les clivages ethniques et politiques, il est du bas peuple et avec le bas peuple, il comprend les besoins primaires des populations, et il est écouté et respecté par toute la classe politique guinéenne. Honnêtement, je ne vois pas sur la scène politique guinéenne un autre candidat qui pourrait mieux accomplir cette tâche que Mr. Bah Oury. Malheureusement, Bah Oury aspire à la magistrature suprême de la Guinée et donc ne peut pas assumer cette responsabilité dans l’état actuel de la charte de la transition.