Plusieurs centaines de personnes sans-papiers travaillant en France ont lancé un grand mouvement de grève ce mardi en Ile-de-France. Pour la plupart employées dans les chantiers des Jeux olympiques et du Grand Paris, elles réclament leur régularisation et l’abandon de la loi immigration.
Devant les grilles de l’un des plus grands chantiers des Jeux olympiques, plusieurs dizaines de personnes se font entendre au rythme des djembés et des mégaphones. « Solidarité pour les sans-papiers », « Pas de papiers, pas de JO », scandent-ils en cœur. Ils sont venus soutenir la centaine de sans-papiers et militants qui, dès l’aube ce mardi 17 octobre, ont lancé une occupation du site qui doit accueillir certaines épreuves des prochains Jeux olympiques, dans le nord de la capitale.
« On est là pour se faire régulariser« , résume Adama, venu du Mali. Arrivé en France en 2016, il travaille depuis de nombreuses années mais n’a toujours pas de titres de séjour, faute de documents. Pour travailler, il doit donc emprunter une identité en règle (un « alias ») ou travaille « au noir » sans laisser de traces pouvant faire avancer son dossier. « Je ne peux pas construire ma vie. Je ne peux pas payer de loyer, prendre un appartement. Les mois où je travaille peu, même manger, c’est difficile », raconte-t-il. « Tout ce qu’on veut, c’est juste avoir les mêmes droits que tout le monde ».
Comme lui, la plupart des grévistes sont employés ponctuellement par des boites d’intérim pour travailler dans les chantiers de la région. « Un travail dur et sans aucune sécurité » quand on n’a pas de papiers, affirme Abdoulaye Bah. « Je n’ai pas dit à mon patron que je faisais grève mais que j’avais un rendez-vous important donc que je ne pourrais pas être là aujourd’hui », raconte le Malien. « J’ai trop peur de ne pas être rappelé ou de ne plus avoir de travail si je dis que je fais grève », assure-t-il devant les chaines qui verrouillent le chantier, empêchant quiconque de rejoindre l’occupation en cours.
Toute la journée, les manifestants ont fait le pied de grue devant le chantier exploité par Bouygues. Ils sont restés jusqu’à la sortie de leurs camarades après près de 10 heures de négociation à l’intérieur du site. « Nous avons la signature d’accords-cadres », se réjouit le collectif d’associations (CNT-SO, CSP75, Gilets noirs…) qui a participé aux discussions. « Ces accords actent la régularisation de tous les salariés des sous-traitants travaillent ou ayant travaillé ces derniers mois sur les sociétés concernées », ajoute le communiqué, précisant qu’un nouveau rendez-vous doit avoir lieu à la mairie de Paris, qui va jouer « le rôle de facilitateur avec les services de l’État », mercredi 18 octobre.
Tous les grévistes du chantier ont donc reçu de leur employeur le formulaire Cerfa nécessaire à une demande de régularisation par le travail, a annoncé une membre du collectif des sans-papiers 75 à la sortie des négociations. « D’autres discussions doivent avoir lieu pour les travailleurs des autres chantiers », ajoute-t-elle.
« Surexploitation »
S’ils ont décidé de mener cette action coup de poing pour leur régularisation, c’est aussi pour que « la peur change de camp » et mettre fin à la « surexploitation » des travailleurs sans-papiers. La plupart d’entre eux travaillent « au bénéfice d’entreprises telles que Chronopost, Veolia, (…) Carrefour, Franprix » qui passent par des sous-traitants « permettant ainsi de masquer l’exploitation », dénoncent les syndicats. Abdoulaye, bonnet du PSG sur la tête, peste contre ce système : « Je travaille depuis 2021 sur les chantiers et dans les usines de traitement de colis. Je porte des charges lourdes, je suis épuisé. Depuis 20 mois, je travaille en France et je n’ai pas de congés payés, de vacances, de retraite… Je veux juste un travail normal. Les patrons profitent de notre faiblesse et de notre situation ».
Plus de 30 piquets de grève
En plus du chantier de l’Arena, plus de trente autres actions ont eu lieu mardi. Coordonnés par la CGT, les occupations et piquets de grève visent des entreprises de nombreux secteurs comme le bâtiment, la logistique, les déchets ou encore le nettoyage. Au total, plus de 500 sans-papiers sont en grève, selon le syndicat qui estime qu’en Ile-de-France, les immigrés représentent « 40 à 62 % des travailleurs des branches de l’aide à domicile, du BTP, de l’hôtellerie-restauration, de la sécurité et de l’agroalimentaire ».
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Cette grève intervient aussi quelques semaines avant le début de l’examen de la loi immigration, dont la mesure phare concerne un projet de titre de séjour pour les « métiers en tension ». « Un artifice au service des patrons », assènent plusieurs collectifs de soutien aux travailleurs en situation irrégulière dans un communiqué mardi. Actuellement, la circulaire Valls de 2012 conditionne la régularisation des travailleurs sans-papiers à vingt-quatre fiches de paie, une promesse d’embauche et une justification de trois ans de présence sur le territoire français.
C’est en tout cas l’un des plus gros mouvements sociaux de sans-papiers depuis des années, se sont félicités les manifestants. « Cette victoire n’est qu’un début », ont estimé les associations en conclusion de cette journée.