Plus de 70 organisations ont publié une lettre ouverte destinée au Comité d’organisation des Jeux olympiques, aux athlètes et aux fédérations, à moins de neuf mois des JO en France. Les humanitaires y dénoncent « le nettoyage social » en cours en région parisienne pour laisser « propres » les rues et cacher les migrants aux futurs touristes. Entretien avec Paul Alauzy, coordinateur de la « mission exilés » de l’ONG Médecins du monde.
InfoMigrants : Que se passe-t-il dans les rues de la capitale pour les personnes à la rue, à l’approche des Jeux olympiques (JO) ?
Paul Alauzy : On dénonce le nettoyage social en cours dans les rues de Paris et d’Ile-de-France.
On sait très bien que pendant les JO, les caméras du monde entier seront tournées vers Paris. Pendant cette période, les autorités veulent donc cacher les sans-abris, les migrants, les mendiants, les usagers de drogue… qui vivent dans la capitale. Il faut laisser les rues ‘propres’, et le gouvernement prépare déjà le terrain.
Plusieurs squats majeurs ont été démantelés. C’est par exemple cas de celui d’Unibéton, qui était le plus grand d’Ile-de-France. Il a été fermé pour laisser place au futur village olympique.
En avril dernier, le squat Unibéton a été démantelé par les forces de l’ordre. Environ 400 personnes, principalement originaires du Tchad et du Soudan, ont été expulsées du lieu, occupé depuis 2020.
Le gouvernement ne veut pas que les touristes aperçoivent des sans-papiers ou des SDF dormant dehors et étendant leur linge dans les rues de Paris. On craint un arsenal répressif complet afin de faire partir ces personnes des lieux fréquentés par les étrangers : on s’attend à des arrêtés anti mendicité dans les gares ou pour interdire les distributions alimentaires…
Le 10 octobre, la préfecture de police de Paris a pris un arrêté interdisant les distributions alimentaires dans des zones précises et délimitées du 10e et 19e arrondissements où se concentrent généralement les migrants. Une semaine plus tard, la justice a suspendu cet arrêté.
Cette logique suit la politique de maltraitance mise en place par les autorités envers les personnes à la rue.
IM : Votre dénonciation de la politique migratoire menée par le gouvernement n’est pas nouvelle ?
PA : Non, nous, les associations et collectifs qui avons signé la lettre ouverte, sommes engagés contre de nombreux projets du gouvernement : la loi anti-squat, le prochain texte sur l’immigration…
L’examen du projet de loi immigration va démarrer au Sénat le 6 novembre. Dans ce texte, le gouvernement prévoit notamment de créer un titre de séjour dédié aux métiers « en tension », de conditionner l’obtention d’une carte de séjour à un niveau de français ou encore de faciliter les expulsions des délinquants étrangers représentant une menace pour l’ordre public.
On maltraite les mal-logés, on criminalise ceux qui occupent des bâtiments vides, on harcèle les sans-papiers déboutés de l’asile et qui n’ont d’autres choix que de dormir dans les rues de la capitale.
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Les mesures mises en place ne sont jamais faites dans une logique d’accueil, d’inclusion et d’accès aux soins.
On constate par ailleurs une opposition totale entre ces politiques et la communication de la France sur les valeurs olympiques, la France ville-refuge ou ville d’accueil. Dans les faits, on observe tout le contraire.
L’État communique sur les JO les plus « inclusifs » de l’Histoire, chiche ?
IM : Vous dénoncez le fait que les migrants et sans-abri soient envoyés en région. Pourquoi est-ce une mauvaise solution, selon vous ?
PA : Nous n’avons aucun problème avec le fait d’envoyer les exilés en région, si l’accueil est digne et inconditionnel, et si les régions disposent de suffisamment de moyens.
Mais ce n’est pas le cas. Les migrants sont transférés en région, dans des SAS. C’est donc temporaire.
Les SAS sont des centres régionaux où les migrants sont logés trois semaines : pendant cette période, les autorités se penchent sur leur situation administrative afin de les réorienter vers les structures adaptées.
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Si certains cochent les bonnes cases, comme les primo-arrivants et les non dublinés, ils seront pris en charge. Mais quid des autres ? Les déboutés de l’asile et les sans-papiers ? Ceux-là vont finir à la rue après trois semaines d’hébergement, dans des villes qu’ils ne connaissent pas et où les associations sont moins nombreuses qu’à Paris.
C’est souvent le même schéma qui se répète : les autorités locales se retrouvent débordées, et les exilés reviennent par leurs propres moyens à Paris.
Si le but de ces SAS est d’invisibiliser les exilés, cela fonctionne. Si en revanche, l’objectif est de mieux prendre en charge les gens, alors c’est un échec.
IM : Que demandez-vous aux autorités ?
PA : Notre lettre ouverte a été un succès. On a déjà tout un calendrier de rencontres : avec le Comité d’organisation des Jeux olympiques (Cojo), des élus politiques de la Nupes et du MoDem.
On compte bien expliquer au Cojo la politique du gouvernement, l’errance imposée aux personnes à la rue.
On demande un lieu d’accueil en Ile-de-France avec un accès pour les associations, sur le même modèle que ce qui a été fait pour l’accueil des Ukrainiens, mais cette fois pour toutes les nationalités. On souhaite un plan de prise en charge pour les personnes exclues et à la rue pendant et après les JO.