Trois semaines après la dissolution du gouvernement Gomou et deux semaines après la nomination de Bah Oury comme Premier ministre, le CNRD a dévoilé ce mercredi 13 mars les visages de son troisième gouvernement. Les Guinéens s’attendaient à un grand bouleversement dans la composition de ce dernier; cependant, à la grande surprise, 48% des anciens ministres du gouvernement dissout ont été reconduits dans ce nouveau gouvernement. Nous vous en proposons ici une anatomie laconique. Cette anatomie donne à voir une image équivoque : le cabinet et le secrétariat de la présidence ont été extraits de l’ossature gouvernementale, aucun ministère d’État n’a été institué, nombreux anciens ministres dits « puissants » sont déplacés ou permutés. Ces indices montrent-il une volonté du CNRD de laisser Bah Oury jouir de la plénitude de ses pouvoirs ou s’agit-il d’un feu de paille ? Que faut-il alors retenir de ce nouveau gouvernement ? Quatre grandes leçons.
1- Reconduction et bouleversement de l’ordre protocolaire
Le premier enseignement à retenir est le chamboulement de l’ordre protocolaire. Le classement des ministres est ordinal avant d’être nominal : il est révélé selon un schéma classique, c’est-à-dire par ordre protocolaire et non par ordre alphabétique. Cet ordre protocolaire est loin d’être uniquement symbolique car il dit long sur les rapports de force interne, sur le rapport entre homme/femme, sur le positionnement de chaque ministre au sein de la hiérarchie gouvernementale ainsi que les tractations et les compromis qui ont précédé sa mise en place. Seul le président de la Transition a le pouvoir discrétionnaire pour décider de cet ordre.
Le premier changement protocolaire réside dans la démarcation subtile entre le gouvernement et la présidence : le chef du Cabinet de la Présidence, Djiba Diakité et le secrétaire général de la Présidence, Amara Camara, ne sont plus membres du gouvernement. Dans les précédents gouvernements ces deux personnalités surplombaient le gouvernement et affaiblissaient ainsi les pouvoirs du PM. Ce premier changement protocolaire constitue une rupture politique et institutionnelle (officiellement) par rapport aux deux autres gouvernements.
Le second est relatif, d’une part, au changement protocolaire intervenu suite au déclassement de certains ministres du gouvernement Gomou et, de l’autre, à l’arrivée de nouvelles figures. Placé en effet en tête de liste, Yaya Kairaba (ancien inspecteur général des services judiciaires), devenu ministre de la Justice, occupe désormais le haut de la pavée juste après le PM. Ce positionnement confirme encore une fois l’importance que le CNRD accorde officiellement à la Justice. Si Morissanda Kouyaté, Idi Amine et Bachir ont tous conservé les rangs protocolaires qu’ils occupaient jadis, Mory Condé, quant à lui, a été certes repêché mais déclassé du troisième rang protocolaire vers le 17ème rang. Serait-il en disgrâce ou bien les architectes du gouvernement ont-ils tiré les leçons en privilégiant la cohésion gouvernementale au détriment des relations interpersonnelles ? En tous cas, l’avenir nous en dira plus.
En outre, si Alpha Bacar Barry, Ousmane Gaoual Diallo et Diaka Sidibé ont gagné chacun une place supplémentaire dans l’ordre protocolaire, Pola Rose, qui était en bonne position dans le gouvernement Gomou par rapport à celui de Béavogui, en a perdue 50% dans ce nouveau gouvernement de son pouvoir protocolaire. Malgré cette régression, il n’en demeure pas moins qu’elle occupe dans ce gouvernement une place privilégiée, et loin devant Alpha Bacar Barry et Diaka Sidibé, mais derrière Ousmane Gaoual, tous anciens membres du gouvernement Gomou. Comme à l’accoutumée, Karamo Diawara, secrétaire général aux Affaires religieuses avec rang de ministre, conserve sa place de dernier de la classe.
2- Un gouvernement d’hommes: les femmes minorées et invisibilisées
Le deuxième enseignement à tirer réside dans la minorisation et l’invisibilisation des femmes. Si dans le gouvernement Gomou les femmes représentaient 24%, dans celui de Bah Oury elles occupent 20,6% des postes. Une régression statistique légère certes mais très symbolique en ce mois de la femme, durant lequel les femmes guinéennes réclament plus de responsabilités dans la conduite des affaires publiques. D’ailleurs, le 8 mars, promesse leur avait été faite par le PM et la première dame à l’occasion de la célébration de la fête de la femme à Kindia (une région située à 106km de la capitale) : 30% des postes ministériels allaient leur être attribués. Après la publication de la liste des membres du gouvernement, des Guinéens se posent désormais la question de savoir où sont passés les autres 9,4% ? Cette promesse devrait-elle être classée parmi tant d’autres qui n’ont pas été honorées? Pourtant, cette promesse faite aux femmes engageait l’honneur du président et de ne l’avoir pas honorée, déshonorerait la fonction présidentielle et questionne sa capacité à honorer ses engagements passés et à venir.
Ce n’est pas seulement une question de chiffres mais il s’agit ensuite et surtout de l’image de la femme que nous enverrons au monde lors de la publication de la prochaine photographie gouvernementale : comme l’exige le protocole, dans la prochaine photo des membres du gouvernement, les femmes seront reléguées derrières des hommes puissants. Leur position a régressé sur le plan protocolaire : si dans le gouvernement Gomou la 8ème place était occupée par une femme (Pola), dans ce nouveau gouvernement elles y perdent deux places importantes, car Mme Djami, la femme la plus hautement placée dans la hiérarchie gouvernementale occupe la 10ème position. Néanmoins, dans l’absolu, elle est en pole position dans l’ordre protocolaire : elle se placera devant des ministres importants comme ceux de l’Agriculture, de l’Energie, des Mines, des Travaux publics et du Transport (tous des hommes).
3- Aucun ministre d’État mais un grand changement au niveau des 6 ministères régaliens
Ce gouvernement est un retour à la philosophie de départ, celle qui avait prévalu lors de la mise en place du gouvernement Béavogui : des simples ministres face à un Premier ministre supposé puissant. Cette philosophie originelle fut très rapidement obstruée par des ministres qui étaient en accointance avec certaines forces du palais. C’est dans le gouvernement Gomou qu’apparut pour la première fois le statut de ministre d’État sous l’ère CNRD. Ainsi, près de 14% du gouvernement Gomou étaient des ministres d’État. En plus de ces ministres d’État, nous y avions des membres plus « puissants » que des ministres d’État et des ministres d’État « puissants » que le PM. Sans aucun ministre d’État, le gouvernement Bah Oury vient donc rectifier ce mauvais casting institutionnel initié par le gouvernement Gomou.
Cependant, l’absence de ministres d’État ne veut pas dire absence de ministres régaliens puissants. Dans ce cercle très fermé, trois sont restés inamovibles (Idi Amine, Bachir et Morissanda) et les deux autres (Charles et Moussa Cissé) ont été remerciés du gouvernement. Yaya Kairaba Kaba et Moura Soumah, respectivement ministre de la Justice et de l’Économie, sont les deux plus grandes rentrées dans ce cercle restreint du régalien. En plus de ces deux nouveaux arrivants, il y a eu une permutation entre le général Kalil Condé qui prend un ministre régalien et Mory Condé qui est rétrogradé.
4- Des grands sortants et des nouveaux entrants avec une dose politique infinitésimale
Si près de 52% de l’ancienne équipe a été renouvelée, il y a eu des grands départs parmi les 48% qui ont été renvoyés du gouvernement : Charles, Guillaume, Béa, Bill, Moussa Cissé, Nagnalen Barry et Magassouba, etc. À des degrés différents et avec des styles différents, ces ministres auront cependant marqué (positivement ou négativement) la transition CNRD.
La plus grande surprise de ce gouvernement c’est l’arrivée d’un côté de Bogola et de François Bourouno et, de l’autre, de Moussa Moise Sylla et de Fana Sylla: les uns sont des hommes politiques et les autres des journalistes. L’autre surprise c’est l’absence des cadres issus des grandes formations politiques.
Ce nouveau casting du CRND fonctionnera-t-il correctement et le PM ne sera-t-il pas pris dans le piège de ceux et de celles qui sont considérés comme les «indisciplinés » du gouvernement ? Seul l’avenir nous en dira plus…
Par Dr Alimou Diallo, politiste