L’élection du bureau du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens de Guinée s’est tenue le 22 juin 2024. Le candidat Yamoussa Youla a remporté le scrutin sur les deux autres candidats à la présidence, selon les résultats publiés par la Commission électorale ad hoc.
Seulement voilà, à quelques jours de son installation, le Dr Abdourahmane Kanté, candidat malheureux venu au dernier rang, a esté la Commission en justice pour des supercheries dont il détiendrait les preuves, ce qui du coup a arrêté le processus.
Face à ce revers, le directoire de campagne du Dr Youla s’est attaqué de but en blanc au ministre de la Santé et de l’Hygiène publique à travers un article de presse, cette fois à visage découvert. Il y a eu des antécédents par pseudonymes interposés.
Cette sortie médiatique, qu’on ne saurait vraiment qualifier d’article de presse, accuse à nouveau le ministre d’interférer dans lesélections ordinales au profit d’un ami de la fac, qui a d’ailleurs été battu. Preuve qu’il ne peut d’aucune manière favoriser qui ce soit, étant donné que le corps électoral est constitué par l’ensemble des pharmaciens agréés à l’Ordre, qui votent librement, une et une seule fois, et que le dépouillement est fait le jour même du vote par une commission composée de toutes les associations de pharmaciens.
Notre article (long pour être exhaustif) vise à informer correctement le public et l’électorat à travers des faits vérifiés et vérifiables sur certains aspects relatifs au fonctionnement de l’Ordre des Pharmaciens, aux pratiques et dysfonctionnements qui gangrènent le secteur pharmaceutique guinéen, favorisés par quelques personnes, au processus électoral et, enfin, au contentieux électoral.
Le fonctionnement de l’Ordre des pharmaciens et le processus électoral
L’Ordre national des pharmaciens de Guinée donne son avis aux pouvoirs publics sur les questions relatives à la politique pharmaceutique en général, à la législation, à la réglementation pharmaceutique et à toutes les questions concernant l’exercice de la profession de pharmacien en particulier. Il agit dans l’intérêt de la profession. Il veille à défendre l’honneur de la pharmacie et protéger les patients (cette double obligation est à souligner et retenir).
L’Ordre est dirigé par un Conseil de neuf membres.
Le renouvellement du Conseil de l’Ordre, frappé d’obsolescence, a été initié par le ministre précédent, le Dr Pèthè Diallo, et non par l’actuel, afin d’assainir le secteur pharmaceutique et lui donner un nouvel élan pour améliorer le système de santé guinéen.
À cet effet, une Commission chargée d’organiser et superviser les élections a été mise en place. Elle est composée de représentants de toutes les coalitions de pharmaciens librement créées par ceux-ci et dirigée par l’inspecteur général de la Santé qui, avec la direction nationale de la Pharmacie et du Médicament, est une tutelle de l’Ordre.
La première date retenue pour les élections du Conseil, dont celle du président, est le samedi 1er juin 2024. La capitale Conakry et les sept chefs-lieux de Région administrative ont été choisis pour abriter les huit bureaux de vote.
Trois pharmaciens ont candidaté pour ce scrutin : les Drs Yamoussa Youla, Bachir Dougoun Diallo et Mory Ismaël Nabé.
Après l’examen des dossiers de candidature à l’aune de la loi et des textes réglementaires régissant le secteur pharmaceutique guinéen, la Commission a invalidé les trois candidatures pour deux anomalies relevées dans les dossiers fournis. En effet, le règlement afférent à la candidature proscrit le statut cumulatif de fonctionnaire et de pharmacien privé mais aussi la double mandature accomplie dans le Conseil de l’Ordre. Or, les docteurs Youla et Dougoun étaient à la fois pharmaciens privés et fonctionnaires, l’un au ministère de l’Enseignement supérieur, l’autre au ministère de la Santé. Par ailleurs, le Dr Nabé a déjà eu deux mandats au Conseil.
Finalement, faute de candidats retenus pour le scrutin du 1er juin, la Commission a décidé de reporter les élections de trois semaines (soit au samedi 22 juin 2024) afin que les trois candidats puissent se mettre en ordre et que la course à la présidence de l’Ordre soit ouverte à d’éventuels compétiteurs.
Dans le délai imparti, le Dr Dougoun a déposé au ministère de la Santé sa demande de radiation et la requête a été transmise au ministère de la Fonction publique, qui l’a actée. Sa candidature à la présidence de l’Ordre national des pharmaciens de Guinée a été ainsi validée par la Commission.
Le Dr Youla, membre du Conseil sortant a, lui, cherché et obtenu du rectorat de l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry, on ne sait comment, une lettre de radiation de ses effectifs au lieu d’adresser en bonne et due forme sa requête à son département du tutelle, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui, à son tour, devait la transmettre au ministère de la Fonction publique, seule habilitée à procéder à la radiation des effectifs de la fonction publique du demandeur, le Dr Youla. Sur la base de la simple lettre du rectorat, qui n’était pourtant pas une preuve de radiation effective de la fonction publique, la Commission électorale a retenu sa candidature à la présidence de l’Ordre. On verra ci-dessous comment le procédé du Dr Youla a été considéré comme une entourloupette par le plaignant le Dr Kanté qui a fait opposition à son installation après son élection. L’homme serait un coutumier du fait.
Quant au Dr Ismaël Nabé, ayant uniquement le statut de pharmacien privé, il lui a été demandé de prouver qu’il n’a pas eu deux mandats au bureau du Conseil de l’Ordre. Quelques jours plus tard, il a désisté en saisissant formellement la Commission électorale d’une lettre.
Il en a été de même pour le Dr Mariama Sall, initialement candidate au poste de président du Conseil communal de Dixinn.
Un autre candidat s’est manifesté pour la présidence, le Dr Abdourahmane Kanté, lui aussi membre du Conseil sortant, qui arégulièrement retiré sa candidature au poste de trésorier.
En définitive, il y a eu trois candidats au scrutin du 22 juin 2024 : les Drs Youla, Dougoun et Kanté.
Finalement, le seul candidat qui n’a jamais exercé au Conseil de l’Ordre est le Dr Bachir Dougoun Diallo. Il est apparu, durant toute la campagne, comme l’homme de la rupture et du renouveau. Du moins, si l’on s’en remet à son programme de gouvernance largement présenté par lui et son directoire de campagne sur le forum du Collectif des pharmaciens et durant leur tournée dans le pays profond.
Les dysfonctionnements au Conseil de l’Ordre sortant et leurs répercussions négatives sur le secteur pharmaceutique
La population des patients pourrait croire que la seule anomalie dans le secteur pharmaceutique guinéen est l’existence d’un marché parallèle et plus particulièrement la vente illicite de produits pharmaceutiques, qui a été d’ailleurs l’objet d’une récente opération coup de poing conjointement menée et coordonnée par la gendarmerie nationale et les autorités sanitaires sur tout le territoire. C’est vrai, c’est un grand problème, il demeure et il est difficile à éradiquer, bien qu’il soit pour le moment atténué par l’opération. Mais les enquêtes sur le terrain et dans les quatre régions naturelles du pays montrent que le problème est plus grand et plus profond qu’il n’y paraît, car le ver est dans la pomme. On peut le dire sans risque d’être démenti par les faits, l’élément insidieux qui produit des effets négatifs dans le secteur pharmaceutique guinéen est bel et bien interne.
Nous avons souligné ci-haut que la préservation de l’honneur de la profession et la protection des patients constituent deux missions cruciales de l’Ordre national des pharmaciens de Guinée. Eh bien, le secteur pharmaceutique guinéen est traversé par des réseaux mafieux installés par quelques pharmaciens – que l’on peut compter sur les doigts d’une main – et dont profite une légion de confrères sortis des universités, d’auxiliaires de pharmacie formés dans les écoles professionnelles implantées par les parrains qui sont les premiers de cordée dans les activités pharmaceutiques criminelles, de fondateurs d’université et d’autres complices dans la distribution et les livraisons.
Le secteur pharmaceutique guinéen est pratiquement privatisé de longue main par quelques capos qui brassent une montagne de milliards au détriment des pharmaciens intègres.
Plus on s’éloigne de la capitale Conakry, plus le cafouillis est indescriptible. La course à l’enrichissement illicite et la concurrence déloyale envers les confrères vertueux frise l’infraction économique en bande organisée. Il est impossible de décrire cette sainte pagaille. Mais on va en révéler quelques aspects.
De jeunes pharmaciens, frais émoulus de l’université, à peine le bonnet carré porté, se voient délivrer une inscription à l’Ordre et un agrément. Ces documents leur permettent de s’installer immédiatement, c’est-à-dire d’ouvrir leur propre officine, sans pour autant avoir franchi les étapes réglementaires, et notamment avoir fait un stage régulier dans une pharmacie pour se faire délivrer un certificat de moralité par le pharmacien qui les aura formés pendant des années à la pratique.
C’est un galvaudage du métier, une exposition des patients à des pharmaciens inexpérimentés et dangereux pour leur santé et une concurrence déloyale envers les propriétaires d’officine qui ont, eux, passé toutes les longues épreuves pratiques.
Des préparateurs en pharmacie, sortis des écoles professionnelles fondées par les capos du dévoiement du secteur pharmaceutique guinéen, n’étant donc nullement habilités à être des pharmaciens et à posséder une officine, sont installés, avec la complicité des hommes de paille des chefs mafieux au Conseil de l’Ordre. Ces intrus ne sont en réalité que les prête-noms des capos. Ils perçoivent juste un salaire ou un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé. Ils sontincompétents et ils représentent un danger permanent pour la santé des patients.
Dans certaines préfectures, des médecins de l’hôpital préfectoral ont ouvert des cliniques privées dans lesquelles ils prescrivent et vendent eux-mêmes des médicaments, alors même qu’ils ne sont pas des pharmaciens et qu’une pharmacie est régulièrement installée en face. Ils font ainsi au propriétaire de cette officine plus qu’une concurrence déloyale, une entrave illégale.
Plusieurs propriétaires d’officine, des diplômés de longue date, n’ont toujours pas d’agrément, faute d’être inscrits à l’Ordre, alors qu’ils remplissent tous les critères requis. C’est une défaillance des Conseils de l’Ordre qui se sont précédés, un désintérêt pour leur cas. Les responsables compétents au bureau de l’Ordre, ne tirant aucun avantage personnel à leur délivrer l’agrément, évoquent une lourdeur administrative.
Certains délégués médicaux trichent avec les laboratoires qu’ils sont censés promouvoir en Guinée. Ils constituent et écoulent clandestinement leur propre stock et s’enrichissent sur le dos et au détriment des firmes pharmaceutiques qu’ils représentent.
En Haute Guinée, des médicaments de toute sorte, et notamment des produits leaders, sont massivement et frauduleusement introduits à partir de Bamako à moindre coût, parce qu’ils échappent à tout contrôle douanier et à tout paiement de redevances à l’État. Par ce moyen, certaines pharmacies sont plus fournies et plus achalandées que celles de Conakry. Elles rapportent des dizaines de millions par jour à leurs véritables propriétaires établis à Conakry. Ils ont installé dans ces officines un prête-nom, qui n’est qu’un gérant, et leurs propres employés. Ils amassent illicitement et à distance une fortune immense. Ils trempent également dans cette importation frauduleuse de médicaments et dans leur distribution. Bamako, situé à seulement 180 km de Siguiri, est un véritable hub de fraudes pour certaines pharmacies de la région.
Un doyen de la pharmacie, moulée à la morale du métier et gardant son âme, a révélé que n’importe quelle personne peut s’inscrire directement en 3e ou 4e année de pharmacie dans certaines universités moyennant un bakchich de 50 ou 100 millions de francs. Cette faveur leur ouvre rapidement l’accès à la juteuse corporation, au mépris du serment de Gallien qui en est le guide éthique et déontologique.
Plus de mille pharmaciens guinéens ont dû payer annuellement une cotisation personnelle d’un million de francs via Orange Money – lisez bien Orange Money. Ainsi, des milliards de francs ont atterri dans le téléphone d’un membre du Conseil de l’Ordre, au lieu d’être virés sur un compte bancaire, comme cela se devait. La gestion de cette manne est restée opaque et sans contrepartie. Le receveur devra en rendre compte. Les pharmaciens contributeurs ironisent en parlant de « Bèlèkhè Money » (Main Money).
Le Dr Yamoussa Youla, par manque de temps des principaux responsables du bureau sortant, serait l’homme qui aurait pratiquement géré les affaires courantes au Conseil de l’Ordre.
Il y a bien d’autres anomalies extrêmement graves dans le secteur pharmaceutique guinéen…
Le contentieux électoral
Comme mentionné ci-haut, le candidat malheureux le Dr Abdourahmane Kanté a saisi la justice pour l’élection controversée du Dr Yamoussa Youla à la présidence du Conseil de l’Ordre national des pharmaciens de Guinée. Il détiendrait des preuves selon lesquelles la radiation de ce pharmacien est du pipeau. Parmi celles-ci, le bulletin de salaire du mois de juin émis par l’université Gamal Abdel Nasser de Conakry de ce monsieur que l’article de son directoire de campagne présente pourtant comme un grand cadre, compétent et honnête. Or, si son dossier de candidature a été validé par la Commission électorale (mise en cause le plaignant le docteur Kanté), c’est bien parce qu’il est censé avoir demandé et obtenu sa radiation effective et irréversible de la fonction publique. Dès lors, ayant censément été élu le 22 juin 2024, il n’avait plus droit d’exercer à la fonction publique, notamment à l’université, il n’avait plus droit à un salaire. Et si on lui en a donné après sa fameuse élection, il ne pouvait et ne devait en aucun cas le toucher. S’il l’a fait, c’est que sa radiation n’était qu’une machination pour lui permettre de candidater à la présidence de l’Ordre tout en continuant à cumuler le statut de fonctionnaire et de pharmacien privé. Si cela s’avérait devant la justice, ça s’appellerait tout simplement faux et usage de faux, magouille et escroquerie. Car le double statut est un empêchement dirimant, une cause d’annulation de sa candidature.
Par ailleurs, le Dr Kanté ayant siégé avec le Dr Youla au Conseil de l’Ordre aurait des preuves que non seulement ce dernier aurait inscrit et agréé frauduleusement et à prix d’argent des centaines de jeunes pharmaciens dont il aurait assisté à la soutenance. Par ce moyen, il se serait non seulement enrichi mais il aurait aussi constitué anticipativement un électorat personnel, avec lequel il aurait partie liée, dans la perspective des élections ordinales. D’où sa victoire écrasante aux consultations du 22 juin 2024. Ces électeurs précis ne pourraient, en effet, couvrir leur inscription illégale à l’Ordre et leur agrément tout aussi irrégulier qu’en faisan bloc avec lui, en contribuant par leurs suffrages massifs à son élection à la présidence du Conseil. Ainsi, tout le monde serait tranquille et rassuré et l’enrichissement illicite pourrait continuer de plus belle.
Les capos aussi auraient tout intérêt à ce qu’il fût élu pour couvrir leurs activités illégales hautement lucratives et néfastes au secteur pharmaceutique, à leurs confrères recta et aux innombrables patients sur le territoire guinéen. Ce seraient d’ailleurs eux qui auraient financé entièrement sa campagne.
Les pharmaciens vertueux fulminent, quant à eux, contre ce qu’ils qualifient de parodie électorale.
Ce monde de la pharmacie guinéenne est totalement caché et obscur à la refondation prônée et poursuivie par le président Doumbouya, comme la caverne d’Ali Baba. C’est Byzance !
Accuser le ministre d’immixtion dans le processus électoral participe d’une manœuvre de diversion et cherche à empêcher à tout prix l’assainissement du secteur pharmaceutique guinéen, une opération redoutée par les maffieux de tout acabit mais qui serait, par contre, salutaire pour les pharmaciens intègres, les patients qui dépensent une fortune pour se soigner et le système de santé guinéen. Car si ce système commence à l’hôpital, il finit dans les officines.
Le ministre, pharmacien de son état, n’est qu’un simple électeur. L’élection et l’installation faites, il met le Conseil élu à la disposition de l’inspection générale de la Santé et de la direction nationale de la Pharmacie et du Médicament (DNPM), les tutelles avec lesquelles le Conseil de l’Ordre devra étroitement travailler dans l’intérêt bien compris du secteur et des patients et remplir sa mission définie par la loi.
Tout laisse croire que le ministre de la Santé dérange. Il ferait peur aux ripoux, étant connu pour son côté innovateur, intransigeant voire bulldozer. Raison pour laquelle, le président de la République lui fait toute confiance, malgré les vains torpillages des pêcheurs en eau trouble.
Au fond, l’objectif poursuivi par le Dr Abdourahmane Kanté, en portant l’affaire de l’élection contestée devant la justice, n’est pas tant un espoir de remporter le scrutin si jamais il est repris que de braquer les projecteurs sur les pratiques criminelles qui ont pourri le secteur pharmaceutique guinéen, de démanteler les réseaux mafieux, d’en faire démasquer et poursuivre les principaux auteurs, de mettre au pas leurs bénéficiaires, bref d’assainir la corporation, remettre la pharmacie aux pharmaciens dans la justice, l’équité et l’égalité de chances relativement à la prospérité et protéger les patients par le professionnalisme, la probité et la sécurité médicale.
D. Brichèle