Nous vivons une époque où la politique a perdu son âme et où l’élection n’est plus perçue comme un acte de foi collective, mais comme un concours d’influence. Les peuples doutent, les dirigeants se justifient, et les institutions peinent à incarner la confiance. Partout, la fatigue démocratique s’installe : les promesses ne tiennent plus lieu d’espérance, les discours sonnent creux, et les urnes semblent parfois peser moins que les alliances de coulisse. En Afrique comme ailleurs, l’élection est devenue un rituel sans transcendance, une procédure sans pédagogie. Or, la crise que traverse notre continent n’est pas seulement économique ou sécuritaire, elle est d’abord politique et spirituelle. Nous avons appris à voter, mais pas encore à penser le vote ; à conquérir le pouvoir, sans toujours comprendre sa nature.
L’expérience électorale, lorsqu’elle est vécue pleinement, est une philosophie du réel. Elle confronte les hommes aux limites de leurs certitudes et révèle la distance entre les discours et les consciences. Elle enseigne que gouverner n’est pas imposer, mais comprendre. Elle montre que l’électorat n’est pas une masse à séduire, mais une mémoire collective à interpréter. Dans cette école du pouvoir, celui qui écoute davantage qu’il ne promet apprend plus vite que celui qui dépense pour convaincre. L’élection devient alors une initiation : elle dépouille les ambitions, éprouve les convictions et forge la lucidité. Car le peuple, même lorsqu’il se trompe, a toujours raison de ressentir ce que les élites refusent de voir.
Pourtant, notre époque a déformé ce processus. L’élection s’est vidée de sa fonction éducative pour devenir un marché du mensonge politique. Les candidats achètent des foules au lieu de bâtir des consciences. Les électeurs, lassés d’être trahis, se replient sur les appartenances ethniques ou religieuses. Et dans ce cercle vicieux, la démocratie se réduit à un bruit, sans mémoire ni projet. Mais le véritable sens de l’expérience électorale réside justement dans la transformation du citoyen : apprendre à choisir en connaissance de cause, à lire les programmes comme on lit une promesse morale, à voter non pour un visage, mais pour une vision. Un peuple sans culture électorale devient prisonnier de ses émotions ; un peuple conscient, au contraire, élève la politique au rang de science du destin.
Préparer l’électorat, c’est restaurer cette conscience perdue. C’est lui enseigner que le vote n’est pas un acte ponctuel, mais un engagement sur le long terme. C’est lui apprendre que la démocratie n’est pas la liberté de choisir qui parlera, mais la responsabilité de suivre ce qui sera fait après le choix. Former le citoyen, c’est lui rendre le goût du discernement : distinguer le charisme du sérieux, la parole du projet, l’homme public du serviteur d’État. L’expérience électorale ne peut produire de bons dirigeants que si elle s’appuie sur un peuple lucide, exigeant et éclairé. Une démocratie sans pédagogie produit des vainqueurs sans légitimité et des électeurs sans mémoire.
Ce que l’Afrique doit inventer aujourd’hui, ce n’est pas une nouvelle procédure électorale, mais une nouvelle conscience politique. Une conscience fondée sur trois principes : la légitimité active, où la victoire électorale oblige à rendre compte en permanence ; la gouvernance consciente, où le pouvoir est vécu comme un service moral et non comme une rente ; et la citoyenneté critique, où le peuple devient acteur du contrôle et de la réforme. Ce triptyque peut redonner à l’élection sa valeur d’apprentissage collectif. Car la maturité politique d’une nation ne se mesure pas au nombre de scrutins qu’elle organise, mais à la qualité de la réflexion qu’elle suscite.
Ainsi comprise, l’expérience électorale devient une école de vérité. Elle apprend au peuple à peser, et au dirigeant à se mériter. Elle redonne sens au mot « mandat », non comme privilège, mais comme responsabilité. Le vote, dans son essence la plus pure, n’est pas un geste administratif, mais un acte de foi dans la possibilité de mieux faire ensemble. Là où les peuples auront compris cela, les élections cesseront d’être des crises répétées pour redevenir des renaissances politiques. Et c’est à ce moment-là que l’Afrique, fidèle à son histoire et lucide sur son avenir, transformera le pouvoir en conscience, et la démocratie en élévation.
Alamina BALDE