ARTICLE 19 est très préoccupé par la décision des autorités de la transition en Guinée d’interdire toute manifestation dans le pays tout au long de la période de transition, qui est de 36 mois. Nous invitons les autorités de transition à reconsidérer cette décision et à garantir le plein exercice par les populations de leur droit de manifester.
Dans son communiqué du 13 mai 2022, le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD) précise que : » Toutes les manifestations sur la voie publique, de nature à compromettre la quiétude sociale et l’exécution correcte des activités contenues dans le chronogramme, sont interdites pour l’instant jusqu’à la période de campagnes électorales. » Cette décision survient dans le contexte de l’adoption controversée du calendrier de transition de 36 mois, lui-même dénoncé par certaines organisations de la société civile en raison de sa durée.
Le droit de manifester est un droit fondamental garanti par les dispositions de l’article 10 de la constitution guinéenne et par les lois internationales sur les droits humains qui sont contraignantes pour le pays. Il englobe l’exercice d’un certain nombre de droits humains interdépendants et étroitement liés, notamment la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique, la liberté d’association et le droit de participer aux affaires publiques.
» L’interdiction des manifestations conduit souvent à des oppositions et plus encore à des formes de confrontation violentes et meurtrières, comme l’a déjà vécu la Guinée dans un passé récent. La condition sine qua non de l’existence d’une démocratie est que les citoyens puissent s’organiser et manifester dans l’espace public, surtout pendant cette période de transition où le respect des droits de l’homme doit être une priorité absolue« , a déclaré Jeanne Irène NGUIDJOI, chargée de programme sénior à ARTICLE 19 Afrique de l’Ouest.
En vertu du droit et des normes internationaux relatifs aux droits de l’homme, aucune restriction ne peut être imposée aux droits à la liberté d’expression, de réunion et d’association, à moins qu’elle ne soit prévue par la loi, qu’elle ne poursuive un but légitime, qu’elle ne soit nécessaire et proportionnée à la poursuite d’un but légitime et qu’elle ne soit pas discriminatoire.
Conformément aux Lignes Directrices sur la Liberté d’Association et de Réunion en Afrique, : L’application générale des restrictions, y compris l’interdiction des rassemblements à certains moments de la journée ou en certains lieux, n’est permise qu’en dernier recours, si cette interdiction est conforme au principe de proportionnalité. En outre, les restrictions au droit de manifester ne doivent être jugées nécessaires que si elles répondent à un besoin social impérieux. La partie qui invoque la restriction doit démontrer un lien direct et immédiat entre la manifestation et l’intérêt protégé. Or, l’interdiction de manifester pendant 36 mois en Guinée n’est pas proportionnée et ne semble pas être fondée sur un besoin social impérieux ou une justification légitime.
Contexte
La Guinée a connu un coup d’État militaire le 5 septembre 2021. Cette situation a entraîné des sanctions de la part de la Communauté Economique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette dernière a pris la décision de geler les avoirs financiers des nouveaux dirigeants guinéens pour n’avoir pas annoncé de calendrier pour la mise en place d’une transition du pouvoir. Fin mars, la CEDEAO a ordonné aux dirigeants de présenter un calendrier de transition « acceptable » « au plus tard le 25 avril », sous peine d’une extension des sanctions économiques. La Guinée a ensuite demandé un délai supplémentaire au-delà de la date limite du 25 avril pour permettre la poursuite des consultations. En conséquence, le Conseil National de Transition (CNT) a finalement approuvé un calendrier de 36 mois pour la transition, plutôt que les 39 mois initialement suggérés par le Comité National du Rassemblement pour le Développement (CNRD).
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