Le 10 janvier 2007, les centrales syndicales CNTG-USTG déclenchaient une grève générale et illimitée. Des milliers de Guinéens descendaient dans les rues pour protester contre le régime de l’ancien Président, le Général Lansana Conté. Du début de cette grève au mois de janvier jusqu’à février 2007, des hommes en uniforme avaient réprimé dans le sang plusieurs des mouvements de protestation faisant plusieurs morts et des blessés graves à Conakry et à l’intérieur du pays.
Pire, cette scène de tueries est survenue le 22 janvier 2007, jour où des militaires ont tiré à bout portant sur des manifestants, plongeant ainsi plusieurs familles dans un deuil profond. Des séquelles qui continuent à hanter des victimes et parents de victimes. C’est le cas de Moussa Mara, qui a ouvert ses portes ce lundi, 05 décembre 2022 à la rédaction du site lerevelateur224.com.
Parmi les nombreuses victimes de cette répression jugée « sanglante « , Moussa Mara, nous a plongés dans le film de ces événements douloureux qui ont coûté la vie à plusieurs Guinéens.
“Le 22 janvier 2007, je n’étais pas sorti pour manifester parce que c’était un jour de travail et moi, je suis sorti le matin à la maison pour aller travailler. Il y a de mes collègues avec lesquels je travaille au port autonome qui sont venus me dépasser à Madina qu’ils se rendent au port. Quelques 5 minutes après, on a entendu des coups de feu vers Madina Parc et on nous informe qu’il y a un jeune qui a reçu une balle au niveau du cou et qui n’a aucun papier sur lui. Comme mes amis viennent de me dépasser, je m’inquiète pour aller voir. On est partis nombreux pour voir, mais arrivés là-bas, j’ai vu que ce n’était pas mes amis. La personne qui avait reçu la balle au niveau du cou était couchée là-bas, c’est nous-mêmes qui avions aidé ce dernier, nous avons même fait arrêter un véhicule de la croix rouge, on a embarqué ce dernier qui a été envoyé vers la ville.
Après, on a vu la foule venir, nous on a eu peur. Comme ça tirait, moi je suis allé dans le caniveau pour courir et revenir à mon lieu de travail. C’est dans le caniveau que j’ai reçu la balle au niveau de ma cuisse droite fracture ouverte. Je n’ai pas vu celui qui a tiré sur moi, mais il y avait un groupe de bérets rouges qui passait et qui tirait, les gens disaient que c’est pour effrayer la foule, il y a certains qui disent que c’est Ousmane Conté, le fils de Lansana Conté qui passait en tirant. Quand j’ai reçu la balle, j’étais avec mon ami Cissé, j’ai dit à mon ami que j’ai reçu quelque chose. Il me demande Mara tu as reçu quoi? Maintenant, en soulevant mon pied, j’ai vu que je ne peux pas. Directement, j’ai vu que mon os est cassé, je me suis doucement couché à terre.
J’ai dit à mon ami Cissé que mon pied est cassé j’ai reçu une balle. Directement, ils m’ont fait sortir dans le caniveau et me mettre dans un chariot là-bas pour m’envoyer dans une clinique à Côté de la gendarmerie de Baldé Bodjé où on a trouvé un autre qui a reçu une balle.
On est restés là-bas 30 à 40 minutes, on nous a mis dans un véhicule de la croix rouge pour nous envoyer directement à Donka. Quand on est arrivés à Donka, on nous a abandonnés comme ça sur un lit aux urgences là où il y a plusieurs blessés par balles, au moins 13 personnes. Il y a avait un petit qui était là-bas qui souffrait beaucoup et qui disait en poular piquez moi, piquez moi. Directement, les infirmiers sont sortis pour s’occuper du petit. Il y avait aussi une femme qui a reçu une balle à la poitrine, elle aussi elle était couchée là”, a-t-il expliqué d’entrée.
“Les militaires sont venus aussi rentrer dans l’hôpital en train de tirer, tout le monde a eu peur. Les médecins qui étaient là ont couru pour aller s’enfermer dans une salle là-bas. C’est le chef de service de Donka à l’époque qui s’appelle Dr Jack Diakité, c’est lui qui est sorti en criant tuez moi, si vous voulez nous tuer tous, alors tuez nous. Entre-temps, les militaires ont eu peur, ils se sont retournés. Après les autres médecins sont sortis, au moment où ils sont sortis ça a trouvé que le petit qui disait piquez moi, piquez moi a rendu l’âme et la femme qui était à côté de moi aussi qui a reçu la balle en dessus de son sein a rendu l’âme. Le moment où moi j’ai reçu la balle, c’était vers 11h 13mn.
Après Donka, on nous a abandonnés là-bas jusqu’à 16 heures 17 heures. Comme il y avait toujours la douleur, c’est en ce moment qu’ils nous ont donné de l’anesthésie pour calmer la douleur. Quand mon oncle a appris que j’ai reçu une balle le soir, malgré les tirs un peu partout, il est venu me voir à l’hôpital. C’est lui qui a dit aux médecins, aidez-moi à soigner mon fils, il est presque 17 heures. C’est en ce moment qu’ils m’ont fait monter au troisième étage”, a confié Moussa Mara, qui renchérit:
“Le premier jour, c’est moi qui donnais de l’argent à mon oncle à chaque fois que les médecins demandaient d’acheter un produit. Et le deuxième jour, mon pied était enflé, certains médecins disaient même qu’il faut couper mon pied parce que c’était trop enflé, il y avait un liquide noir qui sortait sur mon pied. Dr Jack Diakité, le chef de Donka est venu dire: ce dernier là, il doit être évacué au Maroc, mais comme ce n’est pas facile, je vais tout faire pour le soigner. Il me dit: Mara, je vais te soigner. Directement, il m’a fait descendre au bloc opératoire. La première opération n’a pas réussi. J’ai fait 3 jours sur le lit, le 4ème jour aussi, ils m’ont opéré pour la deuxième fois qui a fait que je me sens bien maintenant”, a-t-il raconté avant de préciser que 15 ans après, il souffre toujours des séquelles de cette balle qu’il a reçue:
“On m’a hospitalisé à l’hôpital Donka là où j’ai fait plus de 7 mois 5 jours, je suis sorti de l’hôpital et j’ai fait plus de 4 mois couché à la maison. Mais jusqu’à présent, à chaque fois, ça me fait mal, même avant hier là ça me faisait mal. Quand ça commence à me faire mal, ça va chauffer à l’intérieur. Depuis que j’ai reçu la balle là, ça ne va pas. Je ne sais pas qu’est-ce qui fait ça, mais je ne me souviens pas comme avant. Je n’avais même pas besoin d’agenda pour noter un numéro, quand quelqu’un me donne son numéro, je le garde dans ma tête, mais maintenant là, je ne peux plus. Si je retiens maintenant là, c’est 3 à 4 numéros, ça aussi ça joue sur moi. Généralement, à la fin de chaque mois, mon pied me fait mal, je suis obligé d’aller à la pharmacie acheter des produits contre la douleur pour soulager”, s’est-il désolé avant de souligner que ses capacités physiques sont réduites depuis qu’il a pris une balle le 22 janvier 2007 :
“Ce que je faisais avant, je n’ai plus la possibilité de le faire maintenant”, a-t-il déploré.
Le procès du massacre du 28 septembre 2009 s’est ouvert le 28 septembre dernier. Pour cette victime, si on avait commencé par le procès des tueries militaires de janvier et février 2007, le massacre perpétré par les militaires le 28 septembre 2009 n’allait pas avoir lieu. Il estime tout de même que c’est plutôt le procès des tueries de 2007 qui devrait s’ouvrir en première position.
“On ne peut pas laisser les victimes de janvier et février 2007, nous qui sommes les premières victimes et s’attaquer au dossier du massacre du 28 septembre 2009 qui sont les deuxièmes victimes. Ça nous a surpris et c’est très dommage. Je ne dis pas que ce n’est pas bien d’organiser le procès du massacre du 28 septembre 2009, mais l’État devrait commencer d’abord par nous les victimes de janvier et février 2007. S’il y avait la justice pour nous les victimes de janvier et février 2007, il n’allait pas avoir le massacre du 28 septembre 2009. C’est parce qu’ils ont abandonné le dossier des tueries de 2007. C’est des militaires qui ont tiré sur nous en 2007 et si on avait sanctionné ces militaires là, d’autres militaires n’allaient pas tirer sur la population, faire un autre massacre en 2009”, a-t-il déploré avant de demander à l’État de prendre à bras le corps, dans un esprit d’équité, l’ouverture du procès des massacres de janvier et février 2007 :
“Mais malgré tout, je demande à l’État d’organiser aussi le procès du massacre de janvier et février 2007.
Je demande à ce que la justice soit faite pour nous. Ce qui nous est arrivé, on ne peut pas pardonner. Il faut que justice soit faite. C’est ce qui va nous soulager. On souffre beaucoup”, a-t-il espéré.
Avant de terminer, Moussa Mara a lancé un appel au président de la transition, au ministre de la Justice et aux organisations nationales et internationales de défense des droits de l’homme afin de venir en aide aux victimes de janvier et février 2007 :
“Je demande à monsieur le président de la transition, le Colonel Mamadi Doumbouya, le ministre de la justice Charles Wright de tout faire pour que le procès du massacre de janvier et février 2009 puisse avoir lieu. Je demande aussi à l’AVIPA, à la FIDH, à l’OGDH, à autres organisations de venir en aide aux victimes de janvier et février 2007. Nous, nous sommes abandonnés, on a perdu nos biens, l’argent qu’on avait, on l’a dépensé et jusqu’à maintenant là, on continue à dépenser encore de l’argent mais on est toujours pas en bonne santé. À chaque fois, il faut aller à l’hôpital se faire consulter, payer des médicaments. On demande à l’État de venir en aide aux victimes de janvier et février 2007, on souffre trop même”,a-t-il lancé en espérant que cet appel va tomber dans de bonnes oreilles.
Source: lerevelateur224.com