En 1946, on abolissait le travail forcé et le Code de « l’indigénat ». La citoyenneté était généralisée, mais la Constitution de la IVe République, qui en octobre 1946 redéfinissait « l’Union française », maintenait un système électoral favorable aux coloniaux. C’est dans ce cadre, les élus africains c’est-à-dire les 23 députés, 32 conseillers de la République, 40 délégués à l’Assemblée de l’Union française, sans parler des membres des assemblées territoriales) vont jouer un rôle non négligeable, à la fois à Paris et sur le terrain. On invoquait les principes de la République contre le maintien du statut colonial et donnent une impulsion décisive à la mobilisation politique de leurs pays respectifs.
En 1960, on assiste un tournant décisif tant pour l’Afrique noire que pour la politique de la France. C’était la fin d’un empire colonial inscrit sur les cartes depuis la fin du XIXe siècle mais, au niveau international, le vent du changement soufflait depuis une quinzaine d’années, particulièrement depuis le milieu des années 50. La Conférence de Brazzaville présidée par le général de Gaulle en janvier 1944 a pris en compte l’évolution de colonies françaises. En France, on assiste à une évolution rapide des positions. De 1947 à 1958, les investissements en Afrique noire avaient atteint le triple de ce qu’ils avaient représenté en 50 ans, de 1890 à 1940. À partir de 1955, des économistes analysent le poids fiscal de l’Empire et évoquent le « complexe hollandais », c’est-à-dire la prospérité des Pays-Bas depuis la perte de l’Indonésie. Le thème est popularisé par le journaliste Raymond Cartier : « la Corrèze avant le Zambèze ! » (Paris-Match, août 1956). Avec le traité de Rome signé en mars 1957, le marché européen devient primordial. Ce constat économique, les considérations internationales, le souci de démontrer à l’Algérie qu’une issue pacifique était possible et enfin la maturation politique au sud du Sahara conduisent à une rapide évolution institutionnelle : en 1956 la loi-cadre de Gaston Defferre accorde le suffrage universel et l’autonomie aux différents territoires, mettant fin aux structures fédérales AOF et AEF. Dès 1956-1957, le Togo et le Cameroun, sous tutelle de l’ONU, deviennent des États autonomes.
En 1958, le Général De Gaulle arrivait au pouvoir et faisait craquer définitivement le formalisme juridique du système colonial. Conscient du « mouvement général vers l’émancipation » ; « les colonies, c’est fini », aurait-il dit ; il proposait une solution souple de « Communauté » : chaque état africain serait autonome, un domaine important (affaires étrangères, défense, monnaie) restant du ressort du président français de la République et d’un Sénat de la Communauté. Mais l’option de l’indépendance est ouverte : l’association ou la sécession. Lors de sa tournée en Afrique en août 1958, de Gaulle reçoit un accueil généralement favorable, sauf à Conakry et à Dakar. Le référendum du 28 septembre voit partout le triomphe du « oui », sauf en Guinée où l’indépendance ainsi gagnée par Sékou Touré se solde par la cessation de toute aide française.
Le Général De Gaulle voyait sans doute dans cette solution « pseudo-fédérale » une phase de transition, permettant de porter au pouvoir des dirigeants modérés. Devant la radicalisation des milieux urbains, il lui fut impossible de résister à ce que lui-même appela la « ruée vers l’indépendance ». Dès 1959, les dirigeants du Sénégal c’est-à-dire Senghor et Mamadou Dia ; et de l’ancien Soudan Modibo Keïta, unis jusque août 1960 dans une Fédération du Mali, et le président de Madagascar (Philibert Tsiranana) revendiquent des transferts de pouvoir dans un cadre confédéral. Drapeaux et ambassades se multipliaient. Le Cameroun et le Togo sont indépendants dès janvier et avril 1960. En juin, Paris accepte que le Mali et Madagascar le deviennent aussi à condition de signer des accords de coopération dans le cadre d’une « Communauté rénovée ». Les quatre territoires de l’ex-AEF suivent bon gré mal gré la même procédure en août.
En conclusion, il était facile de prévoir ce qui avait de grandes chances de se passer. La Côte d’Ivoire d’Houphouët-Boigny, « hostile au fédéralisme dakarois et auteur d’un rêve de Françafrique », terme qui sera utilisé plus tard dans un sens critique, et vexé de se retrouver « avec ses fleurs fanées sur le parvis » d’une Communauté déliquescente, constitue une « Entente » avec le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger ; ces pays réclament en août 1960 leur indépendance mais ne signent d’accords de coopération qu’en avril 1961. La Communauté était une « notion dépassée ». Il en resta le secrétariat des Affaires africaines et malgaches, géré à l’Élysée par Jacques Foccart, et le Fonds d’aide et de coopération, créé dès 1959. Ce partenariat devait être dès lors, selon une conférence de presse tenue par de Gaulle en janvier 1964, « la grande ambition de la France » et une certaine continuité dans la rupture.
Dr BAH ALIOU, Inspecteur Principal des Impôts.